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Si on n’y réussit pas, nous en rirons ; si l’on y réussit, nous souffrirons avec courage. » C’était, s’il faut en croire un charmant chroniqueur de la cour, Mme de Caylus, l’époque où Mme de Montespan, voyant la faveur s’éloigner d’elle et voulant au moins la fixer dans sa famille, aurait essayé de faire de la jolie duchesse de Nevers, sa nièce, la maîtresse du roi. Il est à remarquer que, vers la même époque (21 juillet), Louvois écrivait à La Reynie qu’il avait lu au roi cette déclaration de la fille Voisin, si injurieuse pour Mme de Montespan. Un doute difficile à lever se présente ici. Ce Louvois, qui semble partager les soupçons de La Reynie, ménageait en même temps une explication entre Mme de Montespan et Louis XIV. « Dans ce moment, écrit Mme de Maintenon (août 1680), ils sont aux éclaircissemens, et l’amour seul tiendra conseil aujourd’hui. Le roi est ferme, mais Mme de Montespan est bien aimable dans les larmes. Mme la dauphine est en prières, sa piété a fait faire au roi des réflexions sérieuses ; mais il ne faut à la chair qu’un moment pour détruire l’ouvrage de la grâce… » Heureusement pour la pieuse amie ce fut la grâce qui l’emporta. « Cet éclaircissement, écrivait-elle le 23 août, a raffermi le roi ; je l’ai félicité de ce qu’il avoit vaincu un ennemi si redoutable. Il avoue que M. de Louvois est un homme plus dangereux que le prince d’Orange ; mais c’est un homme nécessaire. Mme de Montespan a d’abord pleuré, ensuite fait des reproches, enfin a parlé avec hauteur. Elle s’est déchaînée contre moi, selon sa coutume. Cependant elle lui a promis de bien vivre avec moi… » Voilà donc la chronique secrète de la cour au mois d’août 1680 ! D’un côté, Colbert et Louvois favorisant Mme de Montespan, indifférente aux affaires et à laquelle ils sont habitués, contre Mme Scarron, dont ils redoutent l’ingérence ; de l’autre, la dauphine priant, puisqu’il faut absolument une amie au roi, pour le triomphe de la dernière ; au milieu, Louis XIV très occupé à contenir ses deux maîtresses, leur ordonnant de s’embrasser, de s’aimer, et remarquant, c’est encore par Mme de Maintenon que nous le savons, « qu’il lui étoit plus aisé de donner la paix à l’Europe qu’à deux femmes qui prenoient feu pour des bagatelles. » Ne dirait-on pas un intérieur de harem ? On sait la fin de cette lutte mémorable, qui tint plus d’un an la cour en suspens, et il n’y a rien de hasarde à croire que les rapports de La Reynie eurent quelque influence sur le résultat.

Nous avons laissé la comtesse de Soissons fuyant Paris et prenant en hâte le chemin de la frontière la plus voisine. Poursuivie partout comme empoisonneuse, ayant vu se fermer devant elle les portes d’Anvers et de Namur, où sa réputation l’avait précédée, obligée de quitter plusieurs autres villes de Flandre où elle était reconnue, elle