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dénie elle-même ce commerce, il semble que cela même en doit augmenter le soupçon… » Il ressort de ce mémoire que, tout en faisant certaines réserves sur la véracité des accusés, La Reynie inclinait visiblement à croire que Mme de Montespan avait demandé à la Voisin et à la Filastre des poudres qui pouvaient mettre en danger la vie du roi, et que Mme de Vivonne n’aurait pas reculé devant l’emploi du poison pour se débarrasser d’une rivale ; il semblait admettre aussi que la duchesse de Fontanges, alors en proie à une maladie qui défiait la médecine, avait été empoisonnée.

Celle-ci, dont la princesse palatine, chez qui elle était fille d’honneur, a dit qu’elle était « décidément rousse, mais belle comme un ange de la tête aux pieds, » n’avait que dix-neuf ans quand, au mois de juillet 1680, atteinte d’un mal incurable, elle quitta la cour pour se retirer d’abord à l’abbaye de Chelles, ensuite à celle de Port-Royal, où elle languit près d’un an. Le mémoire de La Reynie que nous venons de citer est postérieur de quelques mois à cette retraite. Mme de Sévigné, qui parle souvent des équipages à huit chevaux de l’éblouissante duchesse, de son luxe, de ses regrets de quitter la vie, attribue la maladie qui l’emporta à des couches malheureuses ; mais il courut des bruits de poison, et la princesse palatine, qui à la vérité n’approfondit et ne ménage rien, ajoute avec sa rudesse habituelle : « La Montespan étoit un diable incarné ; mais la Fontanges étoit bonne et simple, toutes deux étoient fort belles. La dernière est morte, dit-on, parce que la première l’a empoisonnée dans du lait ; je ne sais si c’est vrai, mais ce que je sais bien, c’est que deux des gens de la Fontanges moururent, et on disoit publiquement qu’ils avoient été empoisonnés. »

La jeune duchesse était morte le 28 juin 1681. Le duc de Noailles, qui était alors auprès d’elle par ordre du roi, l’en ayant prévenu, Louis XIV lui adressa la lettre suivante où l’on cherche vainement un trait, un accent parti du cœur. Les mots que nous soulignons autorisent-ils les soupçons d’empoisonnement dont la princesse palatine s’est faite l’écho ? Le lecteur en jugera.


« Ce samedi, à dix heures.

« Quoique j’attendisse, il y a longtemps, la nouvelle que vous m’avez mandée, elle n’a pas laissé de me surprendre et de me fâcher. Je vois par votre lettre que vous avez donné tous les ordres nécessaires pour faire exécuter ce que je vous ai ordonné. Vous n’avez qu’à continuer ce que vous avez commencé. Demeurez tant que votre présence sera nécessaire, et venez ensuite me rendre compte de toutes choses. Vous ne me dites rien du père Bourdaloue. Sur ce que l’on désire de faire ouvrir le corps, si on le peut éviter, je crois que c’est le meilleur parti. Faites un compliment de ma part aux frères et aux sœurs, et les assurez que, dans les occasions,