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biens immenses et compromis le nom des plus grandes dames, se vendait pour de l’argent aux Espagnols et payait de la vie ses témérités. Une duchesse de Longueville, une La Vallière, une Mme de La Sablière, un Rancé et tant d’autres édifiaient dans des cloîtres, quelquefois même par de longs martyres, le monde qu’ils avaient fait le confident de leurs folles amours. Dans une autre sphère, un homme dont le libre et hardi génie a laissé un sillon de feu, l’auteur de Don Juan et de Tartufe, avait un confesseur attitré et faisait ses pâques tous les ans[1]. C’était aussi l’époque où, retirée dans un couvent qu’elle souillait de ses derniers désordres, la marquise de Brinvilliers, cédant au cri de sa conscience, écrivait une confession de nature à étonner l’imagination la plus dévergondée. En même temps un prince du sang, le propre frère du roi, passait pour être en proie à des habitudes infâmes et remplissait la cour de ses cris, parce qu’un favori que sa jeune femme détestait justement lui avait été enlevé. N’oublions pas ce trait caractéristique de la légitimation par Louis XIV d’enfans doublement adultérins, fait monstrueux, qui aurait dû paraître tel sous tous les régimes, qui semble pourtant avoir été accepté comme naturel par les contemporains, excepté par le duc de Saint-Simon, mais on sait pourquoi, et contre lequel une femme d’un sens parfait, d’un esprit juste, Mme de Sévigné, n’a pas même protesté par une allusion dans cette immortelle correspondance où le roi et ses maîtresses tiennent une si grande place[2].

Telles étaient donc, sans parler des rigueurs déjà excessives du pouvoir contre les protestans, telles étaient l’époque et la société qui allaient voir se dérouler ce procès de la Voisin où les plus grands noms de la cour devaient frapper l’oreille des juges instructeurs, et qui, à remarquer le soin particulier avec lequel Colbert et Louvois en suivirent tous les détails, fut pour Louis XIV un sujet non-seulement de préoccupation, mais d’inquiétude sérieuse. Il ne s’agissait de rien moins en effet que de savoir s’il y avait autour de lui et dans son intimité des personnes ayant réellement conçu le projet de l’empoisonner ou tout au moins de lui donner des philtres capables de produire le même effet. C’est par là que le procès de la Voisin mérite de fixer l’attention, et c’est à ce point de vue qu’aujourd’hui encore il y a intérêt à l’étudier.

  1. Recherches sur Molière, par M. E. Soulié, p. 79 et 261, note.
  2. On hésite et l’esprit se refuse même à voir dans ce silence la confirmation d’un bruit qui avait couru en 1668, et que Mme de Montmorency avait mandé à Bussy-Rabutin, qui lui répondit : « Je serois fort aise que le roi s’attachât à Mme de Sévigné, car la demoiselle est de mes amies, et il ne pourroit être mieux en maîtresse. » On croit voir là-dessus l’honnête Bussy lâcher la bride à son imagination et rêver bâton de maréchal, fortune et faveurs de toute sorte.