Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 49.djvu/398

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

individuel opposé au christianisme collectif, ce système qui pose si hardiment ses principes et en tire toutes les conséquences, qui réclame si résolument la séparation absolue du spirituel et du temporel, qui voit un socialisme religieux, par conséquent un germe de mort, dans toute église plus ou moins associée à l’état, ce système a été critiqué très vivement par ceux-là mêmes qui admiraient le plus la philosophie chrétienne de Vinet. La principale objection, c’est que le novateur, dans sa confiance, semble stipuler pour une humanité idéale. Supposez que son rêve se réalise, qu’il n’y ait plus ni concordat ni église nationale : est-il bien sûr que dans l’état actuel des esprits cette révolution ait lieu au profit du christianisme ? Vinet le croit, et cette foi est le secret de son audace. Il est plus sage peut-être de ne pas aller avec lui jusqu’au bout de son principe et de dire simplement : La séparation absolue du spirituel et du temporel est un idéal vers lequel il faut toujours marcher, sans espérer qu’il soit possible de le réaliser complètement. En d’autres termes, la conscience est un sanctuaire interdit à l’état ; l’état aussi a son libre domaine que doit respecter la conscience religieuse ; faisons en sorte que ces deux pouvoirs ne se confondent jamais, ne se heurtent jamais, et s’il y a de l’un à l’autre quelques relations inévitables, tâchons qu’elles deviennent toujours plus discrètes et plus rares.

Quant à sa doctrine de la vie individuelle considérée comme principe de toute société vivante, c’est la vérité même. Spontanéité, liberté, responsabilité individuelle, voilà bien le fond de la civilisation et le salut du genre humain. Quand on résume en ces termes l’enseignement de Vinet, on s’aperçoit qu’il est conforme à la tradition morale de tous les siècles, et que l’antiquité avait proclamé des vérités analogues par la voix de ses philosophes et de ses poètes. L’originalité de Vinet, c’est d’avoir poursuivi cette idée dans toutes ses ramifications, de l’avoir appliquée à tout, d’en avoir fait sortir tout ce qu’elle renferme. Rien de plus beau, par exemple, que l’application des principes de Vinet aux rapports du catholicisme et du protestantisme. Vinet, si profondément protestant à un certain point de vue, ne l’est pas du tout sur un autre terrain. Ce qu’il aime dans la réforme, c’est le point de départ, c’est le réveil de l’individualité, le réveil de l’âme au sein de ce socialisme religieux où s’engourdissaient les consciences ; mais ce réveil a profité au catholicisme même, la réforme a épuré l’église adverse, et s’il y a parmi les plus grands ennemis de la communion protestante des hommes en qui se manifestent les résultats de la rénovation chrétienne, Vinet les considère comme des frères. Non-seulement Pascal est un des disciples du grand réveil, mais combien d’autres encore sont protestans à la façon