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que l’affaissement général, prélude d’une fin prochaine. Au milieu de la nuit, sa respiration devint légèrement embarrassée, et un voile de ténèbres s’abaissa peu à peu sur son intelligence. Il expira sans agonie à cinq heures du matin le 4 mai 1847. Deux jours après, l’élite de la Suisse française l’accompagnait à sa dernière demeure, et les larmes de tous les assistans disaient assez quelle perte irréparable venait de faire le pays. Des hommes de toute condition formaient ce cortège funèbre ; savans et gens du peuple, tous ceux qui avaient connu Vinet, qui l’avaient aimé, on peut dire tous ses débiteurs reconnaissans, se pressaient au cimetière de Clarens pour lui adresser un suprême adieu. C’est là que ses amis, lui ont élevé un monument, à mi-côte de la montagne. Le doux et grand spiritualiste a trouvé la tombe qui lui convenait, au bord du lac mélodieux, enlace des sommets gigantesques.

Telles furent les idées et les œuvres d’Alexandre Vinet. Nous avons jugé son caractère en racontant sa vie ; il ne nous reste plus qu’à rassembler les traits épars de sa physionomie pour la graver dans le souvenir de l’histoire. Ame ingénue et forte, le christianisme, qui était l’inspiration constante de sa pensée, fut aussi la règle perpétuelle de sa conduite. Il était de ceux qui se font tout à tous et qui croient n’avoir jamais fait assez. Il poussait la bonté jusqu’au dévouement, la modestie jusqu’à l’humilité. On ne pouvait approcher de sa personne sans éprouver pour lui le respect le plus tendre. Sa charité d’apôtre ne connaissait ni fatigue ni mesure.

Écrivain, il a brillé, non par la puissance ou l’éclat, mais, ce qui ne vaut pas moins à notre avis, par l’esprit et le mouvement. L’esprit, j’entends l’esprit de la plus pure espèce, celui qui ne court pas les grands chemins, mais qui se plaît au contraire sur les cimes de l’idéal, cet esprit qui est la joie, la gaîté du spiritualisme, voilà la marque distinctive de Vinet. Ajoutez-y ce mouvement qu’il appelle « la beauté royale du style, » ce mouvement, « signe le plus certain de la présence d’une idée, » ce mouvement qu’il regrette de ne pas trouver assez chez tel de nos poètes tout bardé de métaphores. Si de toutes les beautés du style, comme il le dit encore, le mouvement est « la plus immatérielle, celle qui tient le plus à l’âme, » on ne s’étonnera pas que ce soit la qualité dominante de Vinet. Est-ce à dire que Vinet ait pris place parmi les grands écrivains ? Non, certes, il serait le premier à décliner un pareil éloge. L’art, qu’il sentait si vivement, aurait chez lui bien des choses à corriger : il est souvent subtil à force de scrupules, et ses analyses vont jusqu’à la quintessence ; mais aussi, dès qu’il évite ses défauts, il est bientôt excellent.

Son système particulier, je veux dire le développement du christianisme