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Est-il nécessaire de dire que le jeune professeur de Bâle, peu de temps après son installation, était revenu à Lausanne subir ses examens de théologie et recevoir la consécration pastorale ? Ce fut sans doute après la crise intérieure dont nous avons parlé. On voit du moins chez le prédicateur évangélique une sorte de timidité gracieuse unie à la vivacité du néophyte. « Faible, dit-il, je m’adresse aux faibles… Songeant à ceux qui sont encore au commencement de leur marche, je leur parlerai comme un homme qui les précède à peine d’un pas… » Ses principaux argumens sont tirés de son propre exemple, bien qu’il se garde d’en rien étaler ; le sentiment de l’impuissance humaine, le besoin d’un secours divin, l’Évangile continuant les lignes interrompues dans le livre déchiré de notre âme, la régénération morale et la paix qui en est le fruit savoureux, le paradis retrouvé dès cette vie par l’amour, voilà le thème qu’il développe. « Et cette religion est fausse ! s’écrie-t-il. Que ferait-elle de plus, si elle était vraie ? Ou plutôt ne voyez-vous pas que c’est une preuve éclatante de sa vérité ? Ne voyez-vous pas qu’il est impossible qu’une religion qui mène à Dieu ne vienne pas de Dieu, et que l’absurdité consiste précisément à supposer que vous puissiez être régénérés par un mensonge ? »

Cette démonstration à la Pascal est présentée sous toutes les formes avec une abondance de vues psychologiques où se complaît le philosophe et où triomphe le chrétien. Il n’est pas nécessaire d’adhérer à tous les enseignemens de Vinet pour en sentir le charme ; il suffit d’avoir le goût de la haute vérité humaine, tant notre humanité, avec sa grandeur et ses misères, remplit ces pages consolatrices… Mais on hésite à juger littérairement des œuvres qui appartiennent au sanctuaire, on craint de profaner les paroles de vie en leur décernant des louanges mondaines. Toutes ces homélies sur la divinité du christianisme, ces belles méditations, l’Étude sans terme, la Foi d’autorité, les Idoles favorites, le Chrétien dans la vie active, l’Athéisme des Éphésiens, l’Entrée de Jésus à Jérusalem, et bien d’autres encore s’éloigneraient trop des limites que nous avons dû nous tracer ici. On verra seulement par ces indications combien ces vingt années de séjour à Bâle furent une période féconde dans la carrière de Vinet : historien original du génie français dans sa chaire de l’université, censeur sympathique de notre rénovation littéraire, juge chrétien de la poésie, soldat toujours présent, quoique de loin, au milieu des luttes morales dont Paris était le théâtre, il réformait en même temps la chaire évangélique, il laissait à sa communion une série de discours où toutes les communions peuvent s’instruire, il faisait jaillir enfin au milieu de nos champs de bataille une, source rafraîchissante où toute âme de bonne volonté peut trouver sa nourriture et sa joie.