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les principes de l’Évangile dans les âmes que se disputaient tant de systèmes. Une grande place du recueil était nécessairement réservée à l’examen des productions littéraires ; Vinet l’occupa aussitôt, et ne cessa, pendant bien des années, d’y remplir son salutaire office avec autant de vigueur que de modestie. En même temps qu’il soumettait les moralistes d’autrefois, c’est-à-dire, on l’a vu, le génie même de la France, à une critique si forte, il faisait subir aux maîtres des générations nouvelles un examen attentif et redoutable. Je dis redoutable malgré une charité toujours délicate et une politesse quelquefois excessive, — redoutable comme la lumière doit l’être à ceux qui ont besoin du demi-jour. La critique de Vinet, c’était la conscience du juge éclairant, bon gré, mal gré, la conscience du justiciable. Tel poète illustre, au milieu des acclamations du succès, sentait s’attacher à lui comme un aiguillon cette parole chrétiennement importune ; tel autre, écrivain de troisième ordre, était comme ébouriffé de se voir l’objet d’une étude si poliment scrupuleuse qui semblait mettre son âme à nu. Plus d’un, on peut le croire, eût préféré les rigueurs mêmes d’une censure spécialement littéraire. Et ne croyez pas que la critique d’art fût sacrifiée chez l’écrivain du Semeur à la critique morale : subordonnée, oui ; sacrifiée, jamais. Quand nous voyons Vinet s’occuper si consciencieusement de personnages fort secondaires et tempérer ses objections philosophiques ou religieuses par une courtoisie extrême pour l’écrivain, nous sommes porté à croire qu’il manque un peu de finesse, qu’il ne discerne point assez la qualité des talens, qu’il n’a point profité de la rénovation poétique de 1829, et en plus d’une rencontre, il faut bien le dire, il ne saurait éviter ce reproche ; mais que de fois aussi le critique supérieur se révèle tout à coup chez celui que nous allions trouver légèrement provincial ! Plusieurs de ces études sont des chefs-d’œuvre, et le professeur de Bâle y a devancé les jugemens définitifs de nos jours. Vous vous rappelez le bruit qui s’est fait autour de la tombe de Béranger, ces réactions qui éclataient sous des bannières de toute couleur, la violence avec laquelle on secouait le clinquant de cette popularité, le partage qui s’est opéré peu à peu entre le bien et le mal, entre le métal pur et l’alliage, enfin le résultat de cette chaude affaire et l’idée qui nous reste aujourd’hui d’un artiste rare, quoique fort incomplet, à qui la France a pardonné beaucoup d’erreurs pour l’avoir consolée dans ses humiliations. Eh bien ! tout cela, clinquant et or pur, est passé au crible, du vivant même de Béranger, dans l’excellente étude de Vinet.

Mais ce sont surtout les grandes voix lyriques de la France que Vinet écoute avec ravissement et angoisses. Lamartine et Victor Hugo n’ont pas eu de lecteur plus empressé, d’admirateur plus