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rester indifférent aux troubles de Lausanne ? Il s’agissait de la liberté religieuse, il s’agissait surtout de cette liberté individuelle dont il venait de sentir la vertu divine : il prit la parole, et au moment même où la loi du 20 mai 1824 venait d’être promulguée, il, fit paraître à Bâle une brochure intitulée : Du respect des opinions.

Rien de plus modéré, mais aussi rien de plus ferme que l’argumentation du publiciste évangélique. Il ne s’adresse pas au gouvernement, car son manifeste eût dû porter un autre titre, et, au lieu de conseiller le respect, il aurait revendiqué comme un droit l’inviolabilité des opinions. C’est au peuple qu’il s’attaque, ce sont les esprits qu’il prétend convaincre, persuadé que le mal est bien plus, dans les passions aveugles de la foule que dans la faiblesse des gouvernans. Qu’est-ce donc en effet qui soulève la multitude contre des opinions inoffensives et pures ? L’ignorance chez les uns, la brutalité chez les autres. Quand on aura dissipé les ténèbres chez le plus grand nombre, les méchans, qui ne forment jamais qu’une minorité infime, seront à demi désarmés. Vinet ne demande qu’une chose à ses adversaires, à ces hommes légers qui, ricanant ou déclamant, aiguillonnent le taureau populaire et le précipitent contre les tribus fidèles. « Examinez, » leur dit-il. Certes toutes les opinions n’ont pas droit au respect, il en est qu’on ne peut se dispenser de combattre et de flétrir ; mais toute opinion qui ne révolte pas immédiatement la conscience a droit à l’examen. Avant de porter une sentence de mort, examinez, examinez longuement, et prenez garde, comme dit le critique latin, de condamner faute d’avoir compris : ne damnent quod non intelligunt. Il ne s’agit pas de donner son adhésion à une croyance, il s’agit de la respecter chez ceux qui la professent. Les hommes qui outragent une opinion parce qu’elle est nouvelle savent-ils quelle atteinte ils portent à la moralité publique ? « La pensée, toujours travaillée du besoin de liberté, se verrait forcée de recourir à la dissimulation ; on envelopperait de voiles trompeurs sa véritable croyance, on en feindrait peut-être une contraire à celle qu’on professe intérieurement. » Il y a encore d’autres conséquences qui résultent de ce mépris des opinions respectables : c’est le déchaînement « de cette portion du peuple qui, se souciant peu d’avoir une opinion, se constitue l’exécutrice des sentences qu’elle entend prononcer et que son ignorance aggrave. D’où viennent ces dégoûtantes fureurs, véritable souillure de tout ordre social ? Cette populace, où puise-t-elle son emportement ?… » Mais Vinet ne se décide qu’avec répugnance à évoquer de pareils souvenirs ; le grand argument pour lui, ce n’est pas la crainte des excès de la multitude, c’est la douleur de voir un peuple noble et pur, un peuple libre, s’exposer à l’avilissement de son caractère