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et féconde. Le génie français a des qualités propres qui ont pu être secondées, mais que les gouvernemens ne pouvaient créer ni détruire. La Fontaine imite Ésope, Phèdre et le moyen âge : il les fait oublier, et reste le fabuliste par excellence. Molière imite Plaute dans Amphitryon, et dans l’Avare Plaute est vaincu. Corneille et Racine ont des beautés qu’on chercherait, en vain dans la tragédie antique. Pascal a des tristesses d’une éloquence navrante et sublime, des images terribles, de sombres éclairs de scepticisme, je ne. sais quelle poésie enfin que l’antiquité grecque ne soupçonna point. Chrétiens et très Français, Lesueur et Poussin enfantent des œuvres originales. Les choses changent dès qu’on regarde du côté de la sculpture. Prenez nos meilleurs, nos plus habiles, nos plus vaillans statuaires : ont-ils surpassé les maîtres grecs ? . Ont-ils renouvelé la sculpture antique ? Y ont-ils ajouté ? L’ont-ils rajeunie en l’imitant ? Ils ne l’ont pas fait, et ils n’ont pu le faire. Dans la représentation des dieux, des athlètes, des nymphes, dans le bas-relief, dans le portrait en pied ou en buste, dans les travaux décoratifs des tombeaux et des palais, leurs facultés éminentes ou exquises n’ont servi qu’à démontrer l’irrémédiable infériorité native de la plastique moderne. L’âme de la sculpture grecque, le foyer où elle puisait sa flamme, c’était son admiration pour des divinités revêtues de beautés visibles. Or ces dieux ont vécu.

Ainsi ce que n’avaient pu ni la renaissance, ni le siècle de Louis XIV, un écrivain relativement instruit et personnifiant des opinions qui lui survivent persistait à l’attendre de l’avenir et surtout de l’intervention de l’état, sans vouloir tenir compte de la différence des mœurs, des croyances et des génies. Telle est encore aujourd’hui l’erreur de ceux qui s’obstinent à trop attendre de l’action de l’autorité politique. Ils ferment volontairement les yeux à la lumière. Aucune difficulté ne les décourage ; ils ont réponse à tout. Le goût public varie, il s’égare, il se refroidit, il se forme très difficilement. C’est la faute du gouvernement, répondent-ils ; que le législateur y pourvoie, qu’il éclaire le goût général. Et le goût du législateur lui-même, répondrons-nous, qui le formera, qui l’éclairera, si l’art dont il s’agit n’est pas un fruit naturel du pays lui-même ? Comment sortirons-nous de ce cercle où l’on nous fait tourner ? Il n’est pas jusqu’aux excellens conseils qu’Émeric David adresse aux artistes, sous la dictée de son ami le sculpteur Giraud, qui ne décèlent la fausseté d’un pareil système, qui ne condamnent ce qu’il y a d’exagéré dans de telles espérances. À l’étude de l’anatomie, à celle du modèle vivant, il demande qu’on ajoute celle de l’antique.. « Que l’antique serve de médiateur entre la nature disséquée et la nature vivante. L’antique est une admirable traduction à