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les dessous, est impuissante à montrer cette fleur de vie physique que le costume cachait aux Florentins, tandis que les sculpteurs grecs n’avaient qu’à ouvrir les yeux pour la recueillir au gymnase, aux jeux olympiques, partout. Quant à l’insuffisante signification des figures allégoriques, c’est là un vice d’origine que toutes les ressources du génie atténuent parfois sans jamais le détruire. Ne comparons point les statues allégoriques des modernes aux dieux des Grecs. Ceux-ci n’étaient pas des abstractions : ils avaient vécu d’une vie réelle, on croyait à leur existence ou l’on y avait cru ; on les aimait, on les priait, on les craignait ; pour l’artiste et pour le public, ils étaient quelqu’un, bien plus, quelqu’un de divin et de parfait que tout le monde connaissait et qui intéressait tout le monde. Leur passage a laissé de si profondes traces, leur histoire est tellement répandue que nous-mêmes, désabusés et indévots, nous savons les distinguer les uns des autres et les saluer de leur nom. Ils étaient accompagnés assez souvent, même dans les représentations de l’art, de personnages allégoriques d’un caractère moins marqué. Cependant ces êtres de nature abstraite leur étaient intimement associés et participaient ainsi à leur réalité mythologique ; mais qu’ont à nous dire, je vous prie, des images qui s’appellent le Jour ou la Nuit, le Commerce ou l’Industrie, la Législation ou la Force ? L’artiste qui n’est pas libre de choisir son sujet est vraiment fort à plaindre quand il faut qu’il souffle la vie à de tels simulacres. Pour nous les rendre attrayans et nous y attacher, une beauté pareille à celle de l’antique ne serait pas de trop. Or, si Michel-Ange lui-même n’a pu ravir aux maîtres grecs la flamme dont ils animaient leurs marbres, si le corps humain ne lui fût pas assez révélé, qui donc parmi les modernes nés ou à naître possédera jamais tout entier le langage de la plastique ? qui donc le parlera avec toute sa pureté et sa calme, mais pénétrante éloquence ?

Nous sommes jaloux autant que personne de la gloire de notre pays. Ce n’est certes pas nous qui essaierons d’enlever leur couronne à nos artistes des siècles de François Ier et de Louis XIV. Les nobles pages de M. Victor Cousin sur la grandeur de l’art français sont présentes à notre mémoire, et nous y souscrivons ; mais l’illustre auteur du livre sur le Vrai, le Beau et le Bien ne souscrirait assurément pas sans une foule de restrictions et de réserves à un jugement tel que celui-ci : « ce sont évidemment les faveurs de nos rois qui ont été les causes des progrès de nos statuaires. Ce sont évidemment les erreurs du gouvernement et les circonstances où se sont trouvés nos artistes qui ont été, si on nous compare aux Grecs, la cause particulière de notre infériorité. » Quiconque tient ce langage substitue encore une fois la cause extérieure et concourante à la cause intime