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dont les conséquences sont plus graves qu’on ne pense. Les jeux agonistiques par exemple, si utiles aux ans, furent des institutions essentiellement religieuses. Les dieux les avaient fondés, les dieux y présidaient ; c’était en l’honneur des dieux qu’on les célébrait. L’athlète vainqueur était considéré comme le serviteur favori des dieux, et on allait parfois jusqu’à lui.décerner l’apothéose. Or en ces jours consacrés la force physique était couronnée bien plus parce qu’elle était belle et digne des dieux qu’à titre d’instrument de défense et de guerre. C’est donc une erreur que de distinguer l’influence des jeux olympiques de celle de la religion dans la question qui nous occupe, et c’est une erreur aussi que de considérer ces combats comme n’ayant eu pour but que le développement des aptitudes militaires. Sans doute la Grèce, petite, divisée, constamment menacée, avait besoin de bons soldats, capables de combattre corps à corps : elle demandait à la gymnastique d’en former. À cette époque, les armes à feu étant inconnues, le courage du citoyen guerrier devait s’appuyer sur la vigueur de l’athlète. Cependant, qu’on ne s’y trompe pas, la vigueur qui suffit à la guerre n’implique pas nécessairement la beauté, et plus d’un hoplite de Marathon, plus d’un marin de Salamine n’eussent été probablement que de médiocres modèles. De tels hommes étaient utiles ; leur corps était l’œuvre de la nature perfectionnée par des exercices savans. Cependant l’art grec ne copiait pas, on en convient, le premier venu d’entre ces vaillans défenseurs du pays. C’est que, en dépit de certaines expressions de Socrate, l’art grec ne confondait la beauté ni avec la nature telle quelle, ni avec l’utilité, ni avec la vigueur.

Il faut toujours, quoi qu’on fasse, en revenir à ce sens exquis du beau qui était la faculté éminente et caractéristique des Grecs. Négligeons, après l’avoir saluée d’un sourire, cette opinion sentimentale d’Émeric David : « quel dieu donna la peinture et la sculpture à la Grèce ? Ce fut l’Amour. » Nous ne contestons pas la puissance inspiratrice de l’amour ; mais cette passion, qui est de tous les temps et de tous les pays, comment, n’aurait-elle eu qu’une seule fois cette prodigieuse fécondité esthétique ? L’auteur des Recherches sur l’Art statuaire n’est pas plus sincère, mais, il est plus clairvoyant, lorsqu’il attribue les progrès et la perfection de la sculpture grecque aux récompenses dont les artistes étaient comblés, à l’appui que leur prêtaient les gouvernemens en les chargeant de travaux magnifiques et d’un intérêt général. Sur ces deux points, nous ferons encore cependant des réserves. Si habile et si éclairée qu’elle soit, la politique excite, dirige, couronne, emploie le génie ; elle ne le crée pas. Par la liberté, elle lui laisse son essor et ses excitations salutaires ; par les honneurs, elle l’échauffé ; par les œuvres qu’elle lui