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récit touchant et simple, a consigné l’acte de naissance d’un village sur la Veluwe. Là c’est une création rapide due à l’influence des personnes aisées d’une grande ville voisine, Bordeaux ; ici c’est la lente formation d’un centre de population à force de courage, d’économie et de privations. Vers 1800, un pauvre homme nommé Brinkenberg, privé de ressources et sans travail, quitta la ville et se retira dans la solitude, espérant que la nature lui viendrait plus généreusement en aide que les hommes. Il alla se fixer à trois lieues d’Arnheim, aux confins de quatre communes, afin de mieux échapper à la vigilance des gardes et à l’hostilité des administrateurs des marches, qui s’opposent sans pitié à l’établissement de tout étranger sur le territoire commun. Le voilà donc seul dans la vaste lande ; mais comment ce Robinson de la Veluwe parviendra-t-il à vivre sur cette terre stérile qui n’offre rien aux premiers besoins de l’homme ? Il ne peut se faire une demeure sur le sol, car il n’a ni pierres, ni bois ; mais il s’en creusera une au-dessous, comme font les animaux de la bruyère, et il couvrira sa tanière de mottes de gazon. Une fois logé, il s’agit de vivre : il coupe de menues brindilles de genêt et de bouleau dont il fait des balais qu’il va vendre dans la ville la plus rapprochée, et ainsi il peut acheter du pain. Pour se chauffer, il enlève la superficie de la lande, qu’il brûle et dont il recueille les cendres. C’est le premier engrais qui lui permet de récolter quelques pommes de terre dans le sable. Au bout de deux ans, un fermier compatissant, admirant la vaillance de ce rude travailleur, lui donne deux agneaux. Bientôt il a quelques moutons ; avec des plaggen (mottes de bruyère), il fait du fumier ; avec ce fumier, il obtient du seigle : dès lors il est sauvé, car il est assuré d’avoir du pain. Il peut songer maintenant à se faire une habitation plus commode et plus spacieuse. C’est toujours la bruyère qui lui en fournit les matériaux. Murs et toits sont en plaggen ; point de fenêtre ni de cheminée, il n’y a même point songé : des écorces de chêne tressées avec du genêt servent de portes ; mais il a un coffre en bois pour serrer ses vêtemens et une grande armoire en planche (bedstede) où il peut dormir à l’abri de la pluie tout comme un riche fermier ou un gros bourgeois. Les brebis ont donné des agneaux ; il possède un petit troupeau, et il finit même par avoir une ou deux vaches et un porc. Désormais ce n’est plus un vagabond qui fuit le garde champêtre. Il loue la terre qu’il cultive de 7 à 8 florins l’hectare, et il paie 15 centimes par mouton qu’il mène paître sur la lande ; mais à l’état il ne doit rien, car aucun impôt ne peut l’atteindre.

Pendant qu’à force de labeur et de constance il se rachetait ainsi de la misère, d’autres familles avaient suivi son exemple et étaient venues s’établir près de lui. Déjà vers 1830 un petit hameau s’était