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déterminé la manière dont la terre est exploitée. Nulle part un sable aride ne succède aussi brusquement à un limon d’une fertilité si exceptionnelle, et nulle part non plus la différence qui existe entre la culture des terres fortes et celle des terres légères n’est plus frappante qu’ici. Ce contraste n’a même pas échappé au vulgaire, et la distinction entre le zandboer, le cultivateur des sables, et le kleiboer, le cultivateur de l’argile, est généralement connue et partout en usage. Il s’en faut de beaucoup néanmoins que toute la région sablonneuse soit mise en valeur de la même façon ; on y voit au contraire se succéder les différens systèmes que les peuples agriculteurs ont tour à tour pratiqués, depuis la culture la plus primitive et la plus extensive jusqu’à la plus intensive et la plus perfectionnée.


I

Au sortir du régime pastoral, la manière la plus simple d’exploiter les forces productives du sol par la culture consiste à brûler les mottes de la superficie pour semer le grain dans les cendres, qui servent d’engrais. C’était, d’après M. de Gasparin, le mode d’exploitation des Celtes, et c’est encore ainsi que les Tartares cultivent la céréale à laquelle ils ont donné leur nom, le sarrasin (fagopirum tartaricum), dans les steppes du sud-ouest de la Russie et dans la Sibérie méridionale. Ce système, l’écobuage, a été pratiqué de tout temps par les populations dispersées sur de vastes espaces de plaines ou de forêts, et l’ancien mot français brandes, bruyères incultes, semble indiquer que les Francs ont apporté le même usage dans la Gaule, car branden, dans leur langue, signifie brûler. L’étendue remplace alors le capital et le travail, car ce n’est que tous les douze ou quinze ans qu’on peut demander à la terre un produit dont elle fait tous les frais, La culture du sarrasin, telle qu’elle est pratiquée par les Tartares, ne suppose point la propriété individuelle et n’exclut pas la vie nomade, et cependant on la retrouve dans les Pays-Bas entendue exactement de la même manière. A l’est des provinces de Groningue, de Drenthe et d’Over-Yssel, dans les dépressions du terrain sablonneux, s’étendent d’immenses tourbières hautes (hooge veenen). Ces tourbières spongieuses et imprégnées d’eau paraissent absolument impropres à toute espèce de culture. L’homme n’y a point établi sa demeure ; c’est à peine s’il peut s’y avancer sans péril, et le travail du cheval y serait impossible, si l’on n’avait soin de lui attacher des planchettes sous les pieds. Elles forment ainsi des bruyères désertes de quinze et vingt lieues d’étendue, comme le Bourtanger hoogmoer, qui se prolongent