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à des conditions blessantes pour leur indépendance et leur honneur national, un grand coup aura été porté non-seulement à ce brave peuple danois, mais aussi à l’équilibre du Nord, et le retentissement de cet ébranlement ne tardera point à se faire sentir au reste de l’Europe. En affaiblissant le Danemark, on porte atteinte à toute la race Scandinave, dont l’instinct national et politique s’est si vivement réveillé dans ces derniers temps. Que le Danemark résiste à la spoliation par les armes, la Suède ne pourra pas rester indifférente. Que la Suède prête son concours militaire au Danemark, la Russie ne pourra pas souffrir que le gouvernement de Stockholm porte la main sur les clés de la Baltique. La Russie entrant en jeu, on verrait si l’Angleterre peut pousser plus loin son système de circonspection outrée, et si la France pourrait longtemps demeurer dans une boudeuse inaction.

La discussion de l’adresse au sénat, la discussion de l’emprunt au corps législatif, nous ont laissé un regret, le regret que le gouvernement n’ait profité d’aucune de ces occasions pour nous faire connaître les principes et le programme de sa politique étrangère dans les graves circonstances que traverse l’Europe. Quoique écourté, le débat de l’adresse dans le sénat n’a point été dépourvu d’intérêt. Le pays est envers les discussions publiques dans une disposition de curiosité avide qui est déjà pour les orateurs une bonne fortune. Les saillies de M. de Boissy doivent à cette attitude du public une grande partie de leur succès. On ne peut pas dire de la faconde de M. de Boissy que c’est un torrent ou un fleuve ; c’est pourtant un je ne sais quoi qui charrie tout. On lui pardonne le décousu des idées, la témérité des assertions, l’excentricité des opinions à cause des naïvetés piquantes ou des espiègleries hardies qui montent de temps en temps à la surface de ses discours. Son mérite après tout est de n’avoir rien d’officiel dans le langage et de n’être point un brûleur d’encens. Le sénat possède deux statisticiens éminens, M. Charles Dupin et M. Michel Chevalier, qui placent d’ordinaire dans la discussion de l’adresse des morceaux où éclatent l’éloquence et la poésie des chiffres. M. Charles Dupin est le statisticien classique, M. Michel Chevalier le statisticien romantique. La parole réussit mieux au premier, la plume au second. Nous n’avons eu cette année que quelques mots de M. Charles Dupin ; en revanche, M. Michel Chevalier a prononcé un de ces longs discours qui ne sortent pas du feu de la discussion, et qui par conséquent n’attirent point vivement les lecteurs. Il semble que le tort de M. Michel Chevalier ait été cette fois de n’avoir pas bien pris son temps, car il a voulu nous convaincre que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. En matière de politique intérieure, le succès sérieux de cette discussion a été le discours de M. de La Guéronnière. Moins serein et moins optimiste que M. Chevalier, M. de La Guéronnière a réclamé en des termes qui ont fait sensation le développement libéral des institutions, et notamment la réforme de la législation qui régit la presse. En cela, le sénateur qui n’a point oublié qu’il a été journaliste nous a paru plus pratique et en même