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librement prêcher, prier, discuter, propager leur foi, et cette libre concurrence des diverses églises protestantes ne pouvait manquer à la longue de réveiller leur activité et leur zèle. La liberté de la presse n’était pas assez fortement garantie ; telle qu’elle était cependant, elle exerçait sur le public, comme sur le pouvoir, une censure continuelle. Le système électoral donnait lieu dans le détail à de nombreux abus ; en définitive, il n’en soumettait pas moins les ministres à un sérieux contrôle. Le secret des délibérations parlementaires ne permettait pas à l’opinion de surveiller d’assez près la conduite particulière des divers membres ; mais la simple rivalité entre les trois pouvoirs de l’état amenait naturellement chacun d’entre eux à enchérir sur le zèle déployé par les deux autres en faveur du bien public[1].

La réforme progressive de la société était assurée en Angleterre par le simple jeu des institutions. En France, elle ne pouvait s’accomplir sans un grand roi. Ce grand roi, dont l’ancienne France ne pouvait se passer pour éviter une révolution, elle ne le trouva point.


III

Un dévoué serviteur du pouvoir royal dont nous avons souvent invoqué le témoignage, le marquis d’Argenson, écrivait au mois de janvier 1754, à propos de l’agitation que causait en France la lutte engagée entre le parlement et la cour sur la question des refus de sacremens : « Le roi dit à présent du parlement comme il disait du clergé il y a trois ans : « Cela m’ennuie, je ne veux plus qu’on m’en parle. » Le feu est à la maison, et le maître dit : « Qu’on ne me par le pas de l’éteindre, cela m’ennuie. » Tel était le roi qui avait à tenir lieu d’institutions à notre pays. Aussi d’Argenson était-il obligé de reconnaître que « la mauvaise issue de notre gouvernement monarchique absolu achevait de persuader en France et par toute l’Europe

  1. « C’était de tout temps la coutume, raconte Montesquieu, que les communes envoyaient deux bills aux seigneurs : l’un contre les mutins et les déserteurs, que les seigneurs passaient toujours, l’autre contre la corruption, qu’ils rejetaient toujours. Dans la dernière séance (en 1729), mylord Townshend dit : « Pourquoi nous chargeons-nous toujours de cette haine publique de rejeter toujours le bill ? Il faut augmenter les peines, et faire le bill de manière que les communes le rejettent elles-mêmes, de façon que, par ces belles idées, les seigneurs augmentèrent la peine tant contre les corrupteurs que contre les corrompus… Mais les communes, qui sentaient peut-être l’artifice ou voulurent s’en prévaloir, le passèrent aussi, et la cour fut contrainte de faire de même. Depuis ce temps, la cour a perdu, dans les nouvelles élections qui ont été faites, plusieurs membres,… de façon que l’on voit que le plus corrompu des parlemens est celui qui a le plus assuré la liberté publique. Ce bill est miraculeux, car il a passé contre la volonté des communes, des pairs et du roi. »