Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 49.djvu/237

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

il était si loin de prévoir la possibilité d’un réveil religieux quelconque, qu’il écrivait à propos du mouvement que se donnaient alors certains unitaires : « Le parti d’Arius prend très mal son temps de reparaître dans un âge où tout le monde est rassasié de disputes et de sectes… On est si tiède à présent sur tout cela qu’il n’y a plus guère de fortune à faire pour une religion nouvelle ou renouvelée. » Autant d’ailleurs le zèle religieux paraissait à Voltaire incompatible avec l’esprit du XVIIIe siècle, autant l’enthousiasme philosophique lui paraissait contraire à la nature des choses. « Jamais les philosophes, disait-il dans ses lettres sur les Anglais, ne feront une secte de religion. Pourquoi ? C’est qu’ils n’écrivent point pour le peuple et qu’ils sont sans enthousiasme. » Il ne s’attendait donc point à l’explosion de fanatisme philosophique à laquelle il devait si puissamment contribuer en France. Cependant il sentait bien qu’en France beaucoup plus qu’en Angleterre la frivolité du clergé était faite pour donner des armes à. « Devant un jeune et vif bachelier français, criaillant le matin dans les écoles de théologie et le soir chantant avec les dames, un théologien anglican est un Caton… A l’égard l’irréligion des mœurs, le clergé anglican est plus réglé que celui de Franee… Les prêtres sont presque tous mariés. La mauvaise grâce contractée dans l’université, et le peu de commerce qu’on a ici avec les femmes, font que d’ordinaire un évêque est forcé de se contenter de la sienne. Les prêtres vont quelquefois au cabaret, parce que l’usage le leur permet, et s’ils s’enivrent, c’est sérieusement et sans scandale. »

Montesquieu et Voltaire ont été tous les deux frappés du peu d’empressement que les hommes témoignaient en Angleterre auprès des femmes et du peu de charme qu’ils semblaient trouver dans leur société. Les femmes avaient en effet à Londres bien moins d’importance et d’attrait qu’à Paris. À de rares exceptions près, elles étaient ignorantes et n’avaient l’esprit ni agréable ni délicat. L’imagination salie par les obscénités de la littérature dramatique du temps, elles avaient peine à comprendre, quand elles étaient honnêtes, qu’un homme pût rechercher leur conversation sans en vouloir à leur vertu, et quand elles étaient coquettes, que leur conversation pût être recherchée par les hommes sans être ordurière. Il n’y avait guère de milieu entre l’indélicate pruderie des unes et l’immodeste laisser-aller des autres. De ces deux types féminins dans le monde anglais, Montesquieu paraît n’avoir remarqué que le premier, mais Addison a retracé le second. « On voyait communément, dit-il, un homme qui s’était enivré en bonne compagnie, ou qui avait passé la nuit dans le désordre, le raconter le lendemain devant des femmes pour lesquelles il avait le plus grand respect.