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suivirent l’avènement du nouveau roi, la canaille de Londres célébra la naissance de tous les personnages passés ou présens dont le nom pouvait servir de prétexte à des démonstrations factieuses en s’attroupant, soit pour boire à la santé du prétendant, soit pour brûler en effigie George Ier, soit pour démolir des chapelles dissidentes, soit pour assommer les passans qui se refusaient à crier « vive le roi Jacques ! vive la haute église ! Plus de gouvernement étranger ! » La police était si mal faite et les tapageurs jacobites étaient si bien organisés qu’ils restèrent maîtres à peu près incontestés des places publiques jusqu’au jour où les habitués des cabarets whigs s’associèrent pour opposer attroupemens à attroupemens et manifestations à manifestations. Ces bruyans défenseurs de l’ordre parcouraient Londres en bandes nombreuses, promenant des limages grotesques du pape et du prétendant, donnant la chasse aux jacks, envahissant leurs tavernes, bouleversant leurs feux de joie et brûlant en effigie leurs chefs. Les rencontres dans les rues à coups de gourdin devenaient parfois très sanglantes ; mais c’était à l’attaque des cabarets et des tavernes que se livraient les plus meurtriers combats. Les assaillans se retiraient rarement sans avoir essuyé quelques coups de feu, et il fallut pendre un certain nombre de mutins pour empêcher les processions politiques de dégénérer trop souvent en affaires de mousqueterie.

Même lorsque les factions se reposaient, la jeunesse turbulente et licencieuse qui vivait dans les cafés était une véritable peste publique. Insulter les honnêtes femmes, chercher querelle aux gens paisibles, coudoyer les passans et les faire descendre dans le ruisseau, tels étaient les plus innocens plaisirs des mauvais sujets qui, sous le nom de mohocks, faisaient la terreur de Londres. La nuit, après avoir bien bu, ils se précipitaient dans les rues l’épée à la main, renversant et blessant ceux qui avaient le malheur de se trouver sur leur passage. Parvenaient-ils à mettre la main sur une femme, ils la plaçaient la tête en bas au coin d’une borne, ou bien encore ils la renfermaient dans un tonneau et l’envoyaient rouler en bas d’une colline. Chaque bande avait d’ailleurs son divertissement favori et comme son mode particulier de torture. Les uns mettaient leur plaisir à aplatir les nez ou à faire sauter les yeux d’un coup de doigt ; d’autres trouvaient plus comique de donner aux gens ce qu’ils appelaient « une suée. » Le jeu consistait à se ranger en cercle autour de la victime, à la piquer par derrière à mesure qu’elle se retournait pour éviter la pointe des épées, et à lui imprimer ainsi un mouvement de nature à exciter la transpiration. Ces fantaisies bachiques cachaient parfois de terribles vengeances. Les gens de lettres qui exerçaient trop leur esprit aux