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1791. Dans cet espace de trente et un ans, il y eut soixante-dix poursuites pour libelles et cinquante condamnations, dont trente-huit légères et douze sévères. De tels chiffres paraissaient énormes à ceux qui étaient soumis à la juridiction des « juges hanovriens ; » ils nous semblent presque modérés aujourd’hui.

J’ai été amené à dire ce que n’était pas le régime de la presse en Angleterre à l’époque de Walpole. Ce qu’il était, le voici. Depuis l’expiration du licensing act en 1695, la publication des livres et des journaux n’était plus soumise à la nécessité d’une autorisation préalable ; le nombre des imprimeries avait cessé d’être limité : ceux qui voulaient exercer le métier d’imprimeur n’étaient pas même tenus, comme ils le furent plus tard, de notifier leur intention à un représentant de l’autorité et d’indiquer sur leurs publications leur nom et leur demeure. Toute censure, toute action préventive de l’administration sur les auteurs, éditeurs et imprimeurs avait disparu ; tout citoyen avait non-seulement la liberté la plus absolue d’écrire et d’imprimer à ses risques et périls, mais les plus grandes facilités pour se soustraire par des actes clandestins aux recherches de la justice. Une seule mesure avait été adoptée en vue de prévenir la multiplication excessive des imprimés, l’établissement d’une lourde taxe sur les journaux et les pamphlets. « Le roi, écrivait Montesquieu, a un droit sur les papiers qui courent et qui sont au nombre d’une cinquantaine, de façon qu’il est payé pour les injures qu’on lui dit. » Les écrivains politiques pouvaient injurier même le roi avec d’assez grandes chances d’impunité, et cependant ils étaient très insuffisamment garantis contre une répression sévère lorsqu’ils se bornaient à blâmer les ministres. L’état de la législation sur le libelle était fort mal défini et livrait aux disputes des jurisconsultes la grave question de savoir ce qu’il fallait entendre par un libelle. D’après la doctrine généralement reçue avant la révolution de 1688, toute critique dirigée contre le pouvoir ou contre ses agens constituait un délit, et les juges restaient attachés à cette théorie traditionnelle, qui, si elle avait été rigoureusement appliquée, aurait paralysé la discussion par la voie de la presse ; mais le public était avide de pamphlets et de journaux, et le jury partageait les goûts du public. À moins que le pays ne fût très surexcité contre les factions opposantes, les ministres ne pouvaient donc abuser de la jurisprudence établie sans révolter l’opinion et sans provoquer des acquittemens. Toujours exposés d’ailleurs à voir leurs adversaires prendre leur place, ils n’étaient pas intéressés à multiplier des précédens qui pouvaient se retourner contre eux. Ils trouvaient donc généralement plus d’avantage à combattre les journaux par des journaux que par des poursuites judiciaires, et ils prenaient