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France ait jamais produit un homme public aussi dépravé que l’illustre vainqueur de Blenheim, le fourbe et fripon duc de Marlborough, qui sous Jacques II trahissait pour Guillaume d’Orange, qui sous Guillaume d’Orange livrait le secret de l’expédition de Brest à Jacques II et à Louis XIV, qui sous la reine Anne offrait à la fois son dévouement à la cour de Hanovre et à celle de Saint-Germain, et qui mourait sous George Ier, laissant une fortune accablante pour sa gloire, bien que due en partie à la reconnaissance de son pays. Il avait fait argent de tout, de sa propre beauté, des charmes de sa sœur, du pain de ses soldats, du crédit de sa femme ; les pensions et les charges dont il s’était gorgé lui valaient annuellement à elles seules plus de 1,600,000 francs. Et le duc de Marlborough n’était pas en Angleterre un phénomène isolé, il était le type de toute une race d’hommes publics moins grands, moins riches et moins puissans, mais presque aussi corrompus. Le vainqueur de La Hogue, l’amiral Russell, était comme lui insatiable et félon. L’habile préparateur financier de leurs victoires, Godolphin, ne se faisait aucun scrupule de servir deux maîtres. Avec une conscience plus troublée, Shrewsbury n’en trahit pas moins d’abord Guillaume III, qu’il avait appelé en Angleterre, puis George Ier, à qui le versatile ministre avait assuré la couronne par un hardi coup d’état. L’honnête Halifax lui-même ne put résister à la tentation de correspondre avec la cour de Saint-Germain après avoir joué un rôle décisif dans l’expulsion des Stuarts. Sunderland changeait aussi facilement de religion que de roi. Son fils Charles, le conseiller favori de George Ier, fut en intrigue avec les partisans des Stuarts. On allègue, il est vrai, à sa décharge, qu’il exploitait leur crédulité. Non moins déloyal, Robert Walpole fit pendant son ministère parler au prétendant de son secret attachement à la dynastie déchue, espérant obtenir par ce mensonge l’appui des jacobites dans le parlement. Les maîtresses de George Ier vendaient la clémence royale aux ennemis de la couronne et la faveur royale à ses serviteurs. Sir Robert Sutton, ancien ambassadeur du roi d’Angleterre à Paris, abusait des fonds appartenant à une institution charitable dont il était administrateur, et pour ce fait on l’expulsait de la chambre des communes. Les directeurs des prisons publiques à Londres concouraient à l’évasion des riches détenus et laissaient les pauvres mourir de faim, si bien qu’il en périssait souvent jusqu’à huit ou dix par jour. Le lord-chancelier Macclesfield faisait commerce des offices judiciaires et violait les dépôts faits à la cour de chancellerie par les plaideurs, crimes pour lesquels il fut condamné par la chambre des lords à une amende de 750,000 francs. Trois autres ministres de George Ier, Craggs, Aislabie et Sunderland, furent honteusement compromis dans les chimériques et frauduleuses spéculations qui, en 1721,