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dit-il encore, était la portion la plus estimable de la nation par ses mœurs, » éloge qui n’empêchait pas d’ailleurs le marquis de regarder certains « robins » avec des yeux de pitié en raison même de leur sagesse, tant il était convaincu qu’on ne peut être entièrement civilisé sans être un peu débauché. « Tous ces messieurs d’Aguesseau, pour avoir eu des mœurs trop belles et trop d’enfoncement dans l’étude, sont devenus sauvages ou anthropophages, et non amis de l’homme. » Et pourtant l’humeur galante ne se montrait chez beaucoup de ses contemporains que trop compatible avec une brutalité et une insensibilité révoltantes. Le fonds de grossièreté et de violence qui couvait encore sous le vernis de politesse dont Louis XIV avait recouvert les mœurs françaises fit explosion à sa mort avec un fracas dont il faut tempérer l’écho pour le rendre supportable à nos oreilles. Citer les récits de Barbier serait impossible ; les analyser est déjà difficile. Tantôt ce sont d’affreux attentats commis dans les rues par des gens de qualité, tantôt ce sont d’honnêtes femmes qui ne peuvent se sentir en sûreté dans leur propre maison, tantôt encore ce sont des maris susceptibles tués par des passans indiscrets. De tels faits étaient remarqués, c’est dire qu’ils ne se passaient pas tous les jours ; cependant ils n’étaient pas assez rares pour qu’on eût le droit de les reléguer au nombre de ces monstruosités isolées qu’on trouve à toutes les époques dans les annales du crime, et qui ne prouvent rien contre les mœurs d’un temps. C’étaient les exagérations d’une grossièreté générale qui se manifestait plus souvent par des coups, des injures, des locutions basses employées dans le meilleur monde. Le régent avait l’habitude, même dans les réceptions officielles, de congédier les ennuyeux et les indiscrets avec une verdeur d’expression qui n’est plus tolérée aujourd’hui qu’au corps de garde, et ni le cardinal de Noailles, ni le premier président de Mesmes, n’étaient à l’abri de tels affronts.

L’idée « que l’argent est d’une grande ressource, » que les « riches se tirent toujours d’affaire, » que les puissans ne meurent jamais pauvres, est encore un des traits de ce temps. Ce préjugé populaire, tout en ayant quelque raison d’être, était cependant fort excessif. La friponnerie et la vénalité n’étaient pas sans exemple parmi les serviteurs de l’état, grands ou petits ; mais il s’en fallait de beaucoup qu’elles fussent générales. « Plusieurs de nos ministres sont accusés dans le public d’anglicisme en politique, dit aussi M. d’Argenson. On les compare au cardinal Dubois, qui recevait une grosse somme d’Angleterre. Le cardinal Dubois recevait une pension de 100,000 écus de cette cour, dont il donnait quelque chose à milady Sandwich. Cette pension passa à Mme de Prie, et fut fort grossie, de là à M. de Marville, qui en partageait quelque chose ; mais M. Chauvelin la fit cesser, et il faut convenir qu’après lui M. Amelot eut les