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à désarmer et à s’absorber dans des querelles intestines du caractère le plus mesquin, elle fournit contre lui des armes terribles aux non croyans et le priva d’un précieux auxiliaire contre le matérialisme ; elle le livra inerte, impopulaire et divisé aux coups des libres penseurs. Le système de la compression religieuse a eu pour effet en France de paralyser le protestantisme, de rétrécir, d’aigrir et de ridiculiser le jansénisme, de rendre les jésuites odieux, les prêtres indifférens, les philosophes fanatiques et le pays philosophe.

Louis XIV aurait été consterné assurément, s’il avait pu entrevoir ce résultat de sa politique, et cependant ne préférait-il pas lui-même les athées aux dissidens ? Saint-Simon raconte que « lorsque M. le duc d’Orléans partit pour aller en Espagne rejoindre Berwick, le roi lui demanda qui il menait en Espagne. M. le duc d’Orléans lui nomma parmi eux Fontpertuis. — Comment, mon neveu ! reprit le roi avec émotion. Le fils de cette folle qui a couru M. Arnault partout ! un janséniste ! Je ne veux point de cela avec vous. — Ma foi, sire, lui répondit M. d’Orléans, je ne sais pas ce qu’a fait la mère ; mais pour le fils être janséniste !… Il ne croit pas en Dieu. — Est-il possible ? reprit le roi, et m’en assurez-vous ? Si cela est, il n’y a point de mal : vous pouvez l’emmener… — On en rit fort à la cour et à la ville, et les plus libertins admirèrent jusqu’à quel aveuglement les jésuites et Saint-Sulpice pouvaient pousser. » L’esprit du XVIIIe siècle était en germe dans ces rires de la cour et de la ville et dans cette admiration des libertins. Voilà comment Louis XIV avait travaillé dans ses vieux jours à réparer par l’exemple de sa dévotion les brèches qu’il avait faites à la moralité publique par l’exemple de ses désordres et par la façon de vivre qu’il avait imposée à la noblesse.

« Dans une nation, écrivait Montesquieu en faisant allusion aux Anglais de son temps, où tout homme à sa manière prendrait part à l’administration de l’état, les femmes ne devraient guère vivre avec les hommes. Elles seraient donc modestes, c’est-à-dire timides ; cette timidité ferait leur vertu. » L’activité politique des hommes ne pouvait pas faire en France la vertu des femmes. En dehors de la vie des camps, la classe supérieure ne connaissait guère que la vie de salon et de cour. Plaire aux femmes et les amuser pour leur plaire, telle était alors la principale occupation des hommes. De là chez les Français cette recrudescence de frivolité et d’étourderie qui amène d’Argenson à s’écrier : « O ma nation trop aimable et trop légère ! » Il y avait sans doute en France, et Montesquieu le reconnaît lui-même, « des mariages heureux et des femmes dont la vertu était un gardien sévère ; » mais il n’en est pas moins vrai qu’en France « il était de bon air de dédaigner son mari. » D’Argenson l’affirme, et ses récits le prouvent bien. « La magistrature, nous