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son amour-propre fut singulièrement flatté des succès qu’obtenait cette enfant, qu’elle appelait sa fille, dans les soirées de Mme de Narbal. Elle fut donc aimable pour le chevalier, et elle n’aurait même pas éprouvé d’éloignement pour sa personne, sans les propos calomnieux de Mme Du Hautchet. Celle-ci ne négligea rien pour entretenir les soupçons de Mme de Rosendorff. Un jour que celle-ci assistait à une répétition de quelques morceaux que Frédérique devait chanter à la soirée du jour des noces, elle fut si charmée de ce qu’elle venait d’entendre qu’elle se leva, alla droit à Lorenzo et lui tendit la main avec une sincère cordialité. On voyait que cette femme luttait contre des impressions différentes, et qu’au fond elle n’était pas trop fâchée que sa fille adoptive fût l’objet de tant de sollicitude.

Les événemens marchaient cependant, et tout annonçait que cette situation pénible allait se dénouer promptement. Mme Du Hautchet ne perdait pas son temps, comme on dit ; encouragée par l’approbation et la haine du baron de Loewenfeld, elle poussait à une catastrophe où allait se briser ce rêve de bonheur si lentement édifié dans la maison hospitalière de Mme de Narbal. Le jour même où l’on attendait M. de Lajac, Frédérique était agenouillée aux pieds de Mme Du Hautchet, qui lui mettait quelques fleurs dans la chevelure pour la fête du soir.

— Et vous, mon enfant, lui dit-elle de ce l’on mielleux et perfide qui lui était propre, quand aurons-nous le plaisir de célébrer aussi vos fiançailles ?

— Moi, madame ! répondit Frédérique avec surprise ; je ne songe guère à un événement qui ne s’accomplira pas de si tôt, j’espère.

— Et pourquoi cela, chère enfant ? Vous êtes bien d’âge à ce que l’on songe à vous établir, et on assure même que votre choix est fait depuis longtemps.

— Mon choix est fait depuis longtemps ! s’écria Frédérique en levant brusquement la tête. Et comment s’appelle-t-il donc, celui que j’ai choisi, sans m’en douter, pour le guide de ma vie ?

— Voyons, chère Frédérique, répliqua Mme Du Hautchet en l’embrassant sur le front, avouez-moi que vous avez du goût pour le chevalier Sarti, et que vous n’êtes pas insensible aux soins qu’il vous rend depuis qu’il vient dans cette maison. Où serait le mal, après tout, si vous aviez un penchant pour un homme distingué qui vous a donné tant de preuves d’amitié ?

— Je ne sais pas s’il y aurait du mal à éprouver ce que vous dites, répliqua Frédérique avec un peu d’embarras ; mais de pareilles idées ne sont jamais entrées dans mon esprit. Le chevalier d’ailleurs ne songe guère à moi,… et moi je ne suis qu’une enfant qu’il fascine par la supériorité de son intelligence.