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charme et un accent qui tenaient de la voix humaine plutôt que d’un instrument. On aurait dit que l’âme de cet enfant était comme captive dans les profondeurs de son violon, d’où elle cherchait à s’échapper en proférant des cris douloureux, mais inarticulés. Il acheva ainsi d’exécuter le morceau qu’il avait choisi, et qui était la cavatine de Tancredi, mélodie joyeuse et printanière chantée alors dans toute l’Allemagne. Un murmure général de satisfaction s’éleva dans l’auditoire, et lorsque l’on vit le jeune musicien prendre son plateau pour venir réclamer une modeste rémunération, tout le monde mit la main à la poche, et chacun s’empressa de témoigner sa gratitude pour le plaisir qu’il venait d’éprouver. Le chevalier ne fut pas le moins ému ni le moins étonné de ceux qui assistaient à ce concert improvisé. Il lui semblait que, par la qualité du son, par la manière de phraser, par le sentiment indéfini de peine et de grâce, par les défauts de mécanisme qu’on venait de remarquer dans l’exécution de ce jeune virtuose de place publique, il devait être né sous un autre ciel que celui de l’Allemagne.

— De quel pays es-tu ? demanda le chevalier à l’enfant en lui remettant une pièce de monnaie.

— Je suis Italien, répondit le jeune virtuose avec un accent qui n’était pas équivoque.

— Je m’en doutais, répliqua vivement le chevalier. Et dans quelle partie de l’Italie es-tu né ?

— À Bassano, dans la Vénétie.

— À Bassano ! s’écria le chevalier avec une émotion de joie ; mais alors nous sommes compatriotes. Comment t’appelles-tu ?

— Giuseppe Zanotti, signor, mais ici on me nomme Jeannowitz.

— Ton père est sans doute avec toi ?

— Oh ! no, signor, répondit le virtuose d’un air sérieux et presque triste ; je suis seul avec ces braves gens, qui sont tous des Tedeschi, dirigés par le vieux Schnaps, que vous voyez là-bas, donnant du cor.

— Mais comment se fait-il, caro Zanotti, que tu sois seul, si loin de ton pays ?

— Ah ! signor, répliqua le jeune violoniste en poussant un soupir, la volontà di Dio !

— Viens me voir, dit le chevalier au pauvre sonatore., dont les dernières paroles avaient éveillé sa sympathie, et nous ferons plus ample connaissance.

Une valse d’une tournure franche et paysanesque avait terminé heureusement ce concert en plein vent, qui en valait bien un autre. Les musiciens se retirèrent et descendirent dans la ville. Peu à peu le monde qui visitait le château et qui remplissait la cour et les promenades disparut aussi, et le chevalier finit par se trouver seul