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et descendirent chez le docteur Thibaut. Le chevalier n’arriva que vers les deux heures de l’après-midi à Heidelberg, et il alla se loger à l’hôtel Saint-George, la plus ancienne, la plus curieuse maison de cette ville, qui a subi tant et de si cruelles vicissitudes. On sait que Heidelberg est située dans une vallée étroite et délicieuse qu’arrose le Neckar, entre deux collines, sur l’une desquelles est bâti le château, qui a été successivement pris et repris par les généraux de Louis XIV, Mélac et de Lorges, serviles exécuteurs des ordres impitoyables du ministre Louvois. La colline qui fait face à celle que couronne le château s’appelle la Montagne-Sainte (Heiligberg) ; de nombreux couvens s’y élevaient autrefois, et une pieuse légende s’y rattache. Elle est maintenant couverte de vignobles, et le Neckar, qui va se jeter dans le Rhin, en baigne les contours gracieux. Au bas de cette colline d’un riant aspect s’étend une route charmante, très bien nommée le Chemin des Philosophes (Philosophenweg). Cette route, bordée de maisons de plaisance et de jolis villages, présente un coup d’œil ravissant. Le chevalier, qui connaissait Heidelberg, qu’il avait habité autrefois, ne s’empressa pas de se rendre chez M. Thibaut. Il craignait de rencontrer Wilhelm et Frédérique, à qui il n’avait pas parlé depuis la scène pénible qui s’était passée en présence de Mme Du Hauchet. Il cherchait même à se dispenser d’aller dîner chez le docteur et voulait seulement assister au concert qui devait avoir lieu le lendemain dans la grande salle du musée. Il sortit de son hôtel et parcourut la ville, qui était remplie d’étrangers, de marchands forains et de bateleurs de toute espèce. La fête durait trois jours, et comme il n’y avait pas alors à Heidelberg le théâtre qu’on y a construit depuis, les plaisirs qu’on y venait chercher consistaient à visiter les divers monumens de cette ville intéressante, le château surtout, dont les belles ruines racontent les annales du pays, et rappellent un des grands épisodes de l’histoire de l’Allemagne. Deux chemins conduisent de la ville au château : l’un, destiné aux piétons, sentier tortueux et pittoresque, longe les remparts de cette magnifique résidence des électeurs palatins, et débouche sur l’emplacement d’un ancien palais de la femme de Frédéric le Victorieux, Clara Detten, qui était la fille d’un patricien de la ville d’Augsbourg. L’autre chemin, beaucoup plus large et accessible aux voitures, vient également aboutir à la plate-forme, à l’entrée de la cour seigneuriale. Arrivé dans cette cour spacieuse, on a devant soi un amas de ruines de palais de tous les âges et de tous les styles, où chaque pierre témoigne de l’influence de l’Italie sur le goût de l’Allemagne. Le chevalier descendit d’abord dans la partie inférieure de la ville, près du pont qui traverse le Neckar et qui conduit au Chemin des Philosophes, où M. Thibaut avait une maison de plaisance. Ayant cru