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bientôt au chevalier pour prolonger l’interruption de ses rapports avec la jeune fille.


III

On était à la fin du mois d’août. Il devait y avoir à Heidelberg une espèce de fête, de gros marché ou de foire qui pendant plusieurs jours attirait beaucoup de monde dans cette ville pittoresque. Le docteur Thibaut avait invité Mme de Narbal avec les personnes de son entourage, ainsi que M. de Loewenfeld et son fils Wilhelm, à venir passer quelques jours dans cette résidence charmante, qui n’est qu’à deux lieues de Schwetzingen. Il avait organisé un concert de musique classique avec la société d’amateurs qu’il avait fondée et qu’il dirigeait depuis plusieurs années. Il va sans dire que le docteur n’avait pas oublié le chevalier Sarti parmi les personnes invitées à cette fête de l’art, où l’on devait exécuter plusieurs compositions anciennes. Il lui avait même écrit une lettre pressante pour le prier de faire chanter à Frédérique un des morceaux de choix qu’elle étudiait avec lui. La lettre du docteur Thibaut parvint au chevalier le lendemain du jour où s’était passée la petite scène d’insubordination que nous venons de raconter. Lorenzo, qui avait résolu de garder le silence, ne dit rien à personne de la détermination qu’il avait prise de rester à Schwetzingen. Cependant l’approche du jour de la fête remplissait la maison de bruit et de mouvement. Les trois cousines étaient tout occupées des préparatifs de leur toilette, et les domestiques ne savaient à quel ordre entendre. Frédérique surtout ne cachait pas la vive joie qu’elle éprouvait à l’idée de cette partie de plaisir où devait se trouver Wilhelm.

La veille du jour fixé pour le départ, Mme de Narbal vint voir Lorenzo dans sa chambre et lui dit : Ah çà ! chevalier, nous partons demain matin de bonne heure pour Heidelberg, et vous nous accompagnez, je l’espère ?

— Chère comtesse, répondit le chevalier en lui donnant à lire la lettre du docteur, je ne me sens pas la force de vous suivre, et, sans être positivement malade, je vous demande la permission de rester ici.

— S’il en est ainsi, répliqua vivement Mme de Narbal, je n’irai pas à Heidelberg, et Mme Du Hautchet accompagnera ma fille et mes deux nièces à cette fête, dont je ne veux pas les priver.

Après une courte résistance, le chevalier, qui ne voulait pas non plus retenir Mme de Narbal et l’empêcher de goûter un plaisir qui allait à la vivacité de son aimable esprit, promit de se rendre à Heidelberg dans le courant de la journée du lendemain.

Mme de Narbal, sa fille et ses nièces partirent de très bonne heure