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avec Frédérique. Celle-ci fut également entourée, obsédée de cajoleries malignes qui, en exaltant son amour-propre, la disposaient à écouter favorablement des insinuations plus perfides encore. Excepté Mme de Narbal et sa fille Fanny, à qui le chevalier n’avait jamais été indifférent, tout le monde dans la maison semblait n’avoir plus que de la malveillance pour l’étranger. Les visites de Wilhelm de Loewenfeld devinrent aussi plus fréquentes, et son empressement auprès de Frédérique de plus en plus marqué et significatif. On l’accueillait avec grâce, avec joie même, et sa présence était toujours une fête pour la maison. Aimait-il réellement Mlle de Rosendorff, ou bien, digne fils de M. le baron de Loewenfeld, ne voyait-il dans cette jeune personne d’un charme si captivant qu’une précieuse conquête à faire pour l’avenir de sa fortune ? Wilhelm était encore trop jeune pour n’être pas un peu sincère dans le sentiment de préférence qu’il manifestait pour Frédérique, et d’un autre côté il n’avait l’esprit ni assez élevé ni assez pénétrant pour discerner dans le caractère enveloppé de Mlle de Rosendorff les qualités d’un ordre supérieur qu’y faisaient germer les soins affectueux du chevalier. Excité par les suggestions malignes de Mme Du Hautchet, dirigé par les conseils de son père et poussé aussi par ses propres inspirations, Wilhelm devint pressant auprès de Frédérique ; il osa lui faire part de ses espérances, et ne craignit pas de parler du Vénitien sur un ton d’ironique défiance qu’il ne s’était pas encore permis jusqu’alors. Frédérique laissait faire et laissait dire sans se prononcer ni en faveur de Wilhelm, ni contre le chevalier. Taciturne, mobile, hésitante, ne sachant trop vers quel rivage l’entraînaient ses instincts divers, elle accueillait avec un plaisir évident les hommages de Wilhelm sans jamais prendre la défense du chevalier, dont elle recherchait toujours les conseils et subissait l’ascendant. Ce n’était pas de la coquetterie vulgaire, ce n’était pas de l’hypocrisie féminine que cette étrange conduite de Mlle de Rosendorff : c’était la lutte de deux natures, de deux races qui se disputaient la direction d’une destinée, d’une âme où s’agitaient confusément des intentions vulgaires et de nobles aspirations.

Parmi les morceaux de musique vocale italienne dont le chevalier avait formé le recueil de Frédérique, se trouvait l’admirable duo de l’Olimpiade de Paisiello, écrit à Naples en 1786 pour la célèbre cantatrice Morichelli et je ne sais plus quel sopraniste de l’époque. Ce duo est un chef-d’œuvre de sentiment connu de tous les vrais amateurs, et dont Rossini s’est heureusement souvenu dans une belle phrase du premier finale de la Semiramide. C’était un des morceaux préférés du chevalier, parce qu’il l’avait chanté avec Beata dans une heure bénie de sa jeunesse. Aussi s’était-il empressé de le faire étudier à Frédérique, qui réussissait à rendre l’expression