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plus de sève folle et d’ombre flottante dans les jeunes plants de la forêt, il y a plus de feu dans le vieux cœur du chêne. »

C’était habituellement le dimanche que Wilhelm de Loewenfeld venait à Schwetzingen voir Mme de Narbal. Il y passait toute la journée et ne retournait à Manheim que le lendemain matin. Dès le samedi, on s’apercevait à la gaîté enfantine de Frédérique, à quelques détails de toilette qu’elle préparait, au soin qu’elle mettait à étudier un de ses morceaux favoris de chant, que le lendemain était pour elle un jour de fête impatiemment attendu. Aussi, dès l’arrivée de Wilhelm, Frédérique ne s’appartenait-elle plus. Elle tournait incessamment autour de lui, causait et se promenait avec lui et ses cousines, sans qu’on s’inquiétât beaucoup du chevalier. Wilhelm une fois parti, Frédérique reprenait sa grâce auprès de Lorenzo, se montrait aussi attentive, aussi avide de le voir et de l’entendre que si rien n’était venu interrompre les dispositions affectueuses de son cœur. Ce manège innocent d’une jeune personne qui cherchait naïvement l’aplomb de son âme, ces alternatives d’ombre et de lumière, d’empressement et d’abandon, d’enthousiasme et d’indifférence, cette lutte de l’idéal et de la réalité, qui se disputaient le caractère et la destinée de Frédérique de Rosendorff désespéraient le chevalier. Il passait des nuits horribles à méditer sur son sort, à chercher une issue à une situation devenue intolérable pour sa haute intelligence. Cette maison hospitalière lui était devenue odieuse, tant il s’y sentait malheureux. Il lui semblait que tout le monde conspirait contre son amour, que tout le monde encourageait les espérances de Wilhelm, et qu’il n’avait plus d’autre parti à prendre que de quitter le pays ou de faire un voyage qui l’éloignât pour quelque temps du théâtre de son supplice ; mais à peine le chevalier avait-il pris une décision extrême dans un moment d’angoisse, que les prévenances, le doux regard et le sourire enchanteur de Frédérique venaient dissiper ses craintes et raffermir son courage. Il retombait ainsi sous la tyrannie d’une enfant, qui peut-être ne se doutait pas de tout le mal qu’elle faisait.

Un dimanche de septembre, Wilhelm de Loewenfeld devait, avec son père et quelques autres personnes, venir, comme à l’ordinaire, passer la journée chez Mme de Narbal. Toute la maison était en fête. Frédérique avait apporté à sa toilette une recherche de menus détails qui indiquaient la disposition de son esprit et son désir évident de plaire au plus jeune des hôtes qu’on attendait. Il était déjà deux heures de l’après-midi, que personne n’était encore arrivé. Frédérique, visiblement contrariée de ce retard, ne tenait pas en place. Elle allait du salon au jardin, et du jardin au cabinet d’étude. Elle s’asseyait au piano, préludait pendant quelques secondes,