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que les deux autres, et semblait trouver dans le maintien calme de cette belle et charmante personne un encouragement au désir qu’il avait de plaire et de se faire bien venir de tout le monde. Il plut beaucoup, et, soutenu par son père, qui était un vieil ami de la comtesse, et par le docteur Thibaut, qui lui portait de l’intérêt, Wilhelm fut bientôt le héros choyé de la maison. Lorsque ce jeune homme se sentit affermi dans les bonnes grâces de Mme de Narbal, il ne tarda pas à remarquer Frédérique et à lui témoigner une déférence respectueuse, qui se changea promptement en une préférence visible. Empressé auprès d’elle, louant avec exagération le charme de sa voix, sa méthode, le choix des morceaux qu’elle chantait aux soirées de sa tante, se montrant touché de la rare distinction de ses manières et de toute sa personne, Wilhelm de Loewenfeld attira sans peine l’attention de Frédérique de Rosendorff, qui ne fut pas insensible à tant de courtoisie. Cela était bien naturel après tout. Jeune, élégant, sorti récemment de l’université, d’où il rapportait, disait-on, une instruction solide et de belles espérances d’avenir, fils unique d’un homme considéré dans le petit gouvernement de son pays, Wilhelm était un parti convenable pour Frédérique de Rosendorff, orpheline, mais héritière d’une famille de marchands enrichis qui l’avait adoptée ; c’était là un raisonnement que tout le monde faisait dans la maison de Mme de Narbal.

On pense bien que Lorenzo ne fut pas le dernier à s’apercevoir des attentions de Wilhelm pour Frédérique et du sentiment de naïve satisfaction avec lequel la jeune fille recevait ses hommages. Il avait une trop grande expérience de la vie et se rendait à lui-même une trop rigoureuse justice pour s’étonner d’un fait aussi simple, qu’il avait d’ailleurs prévu. Il observait d’un œil anxieux les rapports chaque jour plus familiers de Frédérique et de Wilhelm, en renfermant soigneusement dans son cœur la douleur amère qu’il en éprouvait. La haute raison du chevalier, sa modestie réelle et la délicatesse de son âme étaient des qualités précieuses qui le faisaient d’autant plus souffrir dans la position difficile où il se trouvait engagé, que son affection pour Frédérique était plus pure. Il aimait cette jeune fille comme un objet d’art qu’il avait modelé de ses mains, comme un écho, comme un souvenir qui remuait tout son être et le faisait vivre de la vie bienheureuse où s’était formé l’idéal de sa nature. De ses relations aimables avec Frédérique, il s’était dit tout ce que pouvait se dire un homme sensé et un homme d’honneur qui ne veut ni courir des aventures ni manquer aux lois sacrées de l’hospitalité ; mais en prévoyant tout, en faisant dès lors la juste part de ses espérances, Lorenzo n’avait pu pressentir jusqu’à quel degré son cœur serait envahi par cette passion redoutable, dont il se croyait le pouvoir de mesurer et de modérer