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Ainsi raisonnait le chevalier pendant ces heures délicieuses qu’il passait auprès de Frédérique, s’efforçant d’élever et d’éclairer son esprit pour mieux mériter son affection.

Cependant le fils du baron de Loewenfeld, qui avait été présenté à Mme de Narbal le jour de la promenade au parc de Schwetzingen, apparaissait de temps à autre dans la maison hospitalière de la comtesse. Amené d’abord par son père à quelques-unes des réunions qui avaient lieu tous les quinze jours, Wilhelm de Loewenfeld, qui se voyait accueilli avec courtoisie, multiplia bientôt ses visites sous un prétexte ou sous un autre. Tantôt il apportait des journaux que son père envoyait à la comtesse, tantôt un livre intéressant ou quelques morceaux de musique qu’on attendait de Mayence ou. de Francfort. Il était toujours sur le chemin de Manheim à Schwetzingen, pressant de l’éperon un beau cheval noir que son père lui avait acheté depuis son retour de l’université. Wilhelm de Loewenfeld était alors un jeune homme de vingt-deux à vingt-trois ans, gracieux dans sa petite taille, d’une tournure svelte et élégante. Son visage un peu maigre, anguleux, et marqué du type germanique, était encadré de longs cheveux blonds qui lui descendaient abondamment sur les épaules. Il portait habituellement une redingote de velours noir, très serrée et très courte, qui laissait voir des jambes fines et bien modelées par une culotte collante en peau de daim. Des bottes molles armées d’éperons d’or, de jolies moustaches blondes, des yeux d’un bleu de mer, une bouche petite, aux lèvres minces et décolorées sur lesquelles errait presque toujours un sourire dédaigneux, tous ces détails formaient un ensemble assez séduisant. Wilhelm ne manquait pas d’esprit ni d’une certaine instruction quelque peu verbeuse et trop générale, comme la reçoivent tous les étudians allemands qui ne se destinent pas à une profession savante. Il savait de tout quelque chose, un peu de français, un peu de dessin, et faisait profession de beaucoup aimer la musique, qu’il n’avait étudiée que très superficiellement.

L’apparition de ce jeune homme fit événement dans la maison de Mme de Narbal. Reçu avec empressement par la comtesse, dont l’unique défaut était une bienveillance parfois un peu banale, tout le monde, à commencer par les domestiques, qui devinent si vite quelle est l’importance qui s’attache à un nouvel hôte, suivit l’exemple donné par la maîtresse de la maison. La tenue du jeune homme vis-à-vis des trois cousines fut d’abord pleine de réserve et de discrétion. Froidement poli et plus maître de lui qu’on ne l’est à cet âge, Wilhelm parut pendant quelque temps indécis entre ces trois jeunes personnes, différentes d’âge, de position et de beauté. Cependant Fanny, comme fille de Mme de Narbal et la plus âgée des trois, attira ses premières attentions. Il la recherchait plus volontiers