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Tout cela est très encourageant. Il est cependant un point sur lequel je demande à faire des réserves. Sans doute les qualités nautiques des bâtimens, leur vitesse, leur facilité à évoluer, l’aisance avec laquelle leurs machines se prêtent à une foule de combinaisons, la quantité des ressources de tout genre qu’ils peuvent accumuler dans leurs flancs, etc., sont des conditions importantes de leur mérite militaire, les principales, si l’on veut ; néanmoins au jour de la grande épreuve il est une autre question qui joue un rôle de premier ordre, c’est la puissance de leurs armes. Je crois fermement encore que les canons qui arment les batteries de nos bâtimens cuirassés sont supérieurs à ceux qui sont employés dans toutes les marines ; mais j’ai le regret de voir que depuis tantôt deux ans on ne nous signale plus aucun progrès qui aurait été fait dans l’artillerie de bord. J’ai même aujourd’hui le regret plus grand encore de craindre que l’on ne sorte de la voie féconde où nous avions marché avec tant de profit pour nous-mêmes. On par le de renoncer à cette voie pour se lancer dans une artillerie de calibres et de poids qu’aucun ingénieur d’aujourd’hui ne serait, je crois, capable de construire, si ce n’est tout au plus comme instrumens d’étude dénués de toute valeur pratique. Je sens un très fort courant qui pousse dans ce sens, et qui menace de paralyser complètement les progrès que nous avions déjà obtenus en suivant la seule marche qui, dans cet ordre de faits, puisse conduire à des résultats certains. En très peu de temps, en allant à chaque pas du connu à l’inconnu, on avait successivement donné à la marine le canon rayé, le grain de lumière qui conserve indéfiniment les pièces, le canon fretté qui permettait d’utiliser un immense matériel, le chargement par la culasse, qui a subi l’épreuve d’un tir de plus de vingt mille coups de canon sans qu’il en soit résulté plus qu’un seul accident causé par des canonniers inexpérimentés qui avaient oublié de fermer une culasse ; on lui avait donné enfin la véritable pièce à grande puissance, car celle-là, la Marie-Jeanne, avec le calibre de 30 et un poids de 5,800 kilogr. seulement, perçait infailliblement les plaques de 12 centimètres d’épaisseur à la distance de 1,000 mètres. Elle seule l’a fait jusqu’ici, et après un tir de presque 300 coups elle n’avait encore subi aucune dégradation qui valût la peine d’être notée.

C’était au mois d’août 1861 qu’on en était arrivé là, mais depuis on paraît s’être arrêté, et voici que l’on propose d’abandonner tout cela pour chercher après les Américains et après les Anglais à faire de prime saut des pièces du poids de 15, de 20 tonnes, et plus encore ! L’exemple de l’étranger exerce sur nos vives imaginations une influence qui menace d’en détruire l’équilibre. Les gros chiffres que l’on nous cite tournent un grand nombre de têtes qui ne se demandent