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au musicien qui aura l’heureuse idée de les recueillir et de les publier la popularité que les chansons napolitaines ont value à Gordigiani. Pour mon compte, je ne saurais oublier le charme infini de ces chants, tantôt d’une douce mélancolie, tantôt d’une éclatante gaîté, qui retentissent dans les nuits d’été sur les flots endormis de la mer des Alcyons, aux molles clartés de la lune, dans le silence universel de la nature.

Est-ce de l’Italie, est-ce de la Grèce que les Ioniens tiennent le génie poétique ? On ne saurait le dire, car les deux races dont le sang s’est confondu dans leurs veines en sont généralement douées l’une et l’autre. En tout cas, les sept îles ont le droit de s’enorgueillir d’avoir produit deux des plus grands poètes de l’Italie et de la Grèce dans la première moitié de ce siècle, Foscolo et Solomos, tous deux nés à Zante, dans cette île que la fable antique plaçait déjà sous la protection spéciale du dieu des vers. Aujourd’hui encore c’est un Ionien, M. Valaoritis, qui tient sans contestation parmi les vivans le sceptre de la poésie néo-hellénique.

Toutefois, s’ils se rattachent à l’Italie par les dons extérieurs et les qualités aimables, les habitans des sept îles appartiennent bien réellement à la Grèce par des côtés plus solides et par le fond même de leur caractère. Ils ont des Grecs l’instinct pratique des affaires, la finesse parfois un peu tortueuse, la persévérance que ne lasse aucun obstacle, la foi absolue dans l’avenir de la patrie, la confiance dans la supériorité nationale poussée jusqu’à ce degré où, d’une vanité ridicule, elle devient une qualité et le levier des grandes choses. Le seul Grec qui, depuis les siècles antiques, se soit trouvé mêlé dans une situation prépondérante aux affaires générales de l’Europe, et qui ait montré une intelligence à la hauteur de cette tâche, Capodistria, était un Ionien. C’étaient aussi des Ioniens que les généraux grecs qui, dans les armées de Napoléon, firent pour la première fois reparaître le nom de la Grèce sur les champs de bataille des grandes guerres[1]. Tandis que le royaume hellénique créé en 1832 ne renferme encore qu’un embryon de société en voie de formation, où le cimeterre turc a tout nivelé en abattant ce qui s’élevait au-dessus de la foule, les Iles-Ioniennes sont le séjour d’une société européenne entièrement constituée avec sa hiérarchie,

  1. Céphalonie aime à se rappeler qu’elle a été la patrie du général Loverdo et surtout de cette famille Bourbaki, doublement illustrée par deux générations successives sous le drapeau de la France, et par une circonstance vraiment digne de remarque un lien étroit de parenté unissait au général Loverdo et au colonel Bourbaki (le père du général) un des héros de la guerre de l’indépendance grecque, parti comme, eux de l’antique Céphallénie, le vainqueur de Lala, militaire à la fois et homme politique, le général comte André Metaxa.