Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 49.djvu/126

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de l’Acarnanie, séparé seulement par un canal guéable à marée basse ! Ici encore la nécessité matérielle de l’union est évidente.

Il n’y a qu’une seule île dont les intérêts puissent et doivent forcément en souffrir, c’est Corfou. Corfou était depuis quarante-huit ans une capitale ; elle va devenir une ville de province. Pour accepter cette déchéance, il a fallu certainement un grand patriotisme de la part des habitans, un patriotisme qui ne se rencontre que rarement, et que le nouveau roi sera obligé d’honneur à récompenser en transportant du moins dans l’ancienne capitale des sept îles une partie des établissemens réunis d’ordinaire au centre du gouvernement. Toutefois la perte qui semble devoir résulter de l’annexion portera presque uniquement sur la ville de Corfou, et non sur l’île entière ; les campagnes n’auront guère à en souffrir, et il sera même facile au gouvernement hellénique de leur faire trouver dans l’union des avantages plus grands peut-être que ceux qu’y trouveront les autres parties de l’état ionien.

La situation agricole et économique des campagnes de Corfou est en effet déplorable. Le paysan ne travaille plus la terre ; il se borne à ramasser les fruits que donnent sans aucune culture les oliviers, fort vieux déjà, plantes au temps des Vénitiens, qui couvrent l’île d’une véritable forêt ; mais sous ces arbres d’un magnifique aspect la terre n’est jamais bêchée, et de grandes fougères poussent comme dans une forêt vierge. Les oliviers qui meurent de vieillesse ou par accident ne sont pas remplacés ; les autres ne sont jamais ni taillés, ni émondés ; la force s’en épuise dans une végétation luxuriante de branches et de feuilles, et ils dépérissent faute de soins. Aussi l’île, qui exportait autrefois jusqu’à 300,000 barriques d’huile, n’a-t-elle pas vu depuis trente ans une seule récolte en fournir plus de 90,000. Les propriétés ne rapportent plus qu’un revenu misérable, et la valeur des biens-fonds a tellement baissé, que j’ai vu cette année même donner seulement 8,000 francs d’une terre évaluée 30,000 francs avant 1840. Au point de vue moral, les conséquences de cet état de choses ne sont pas moins fâcheuses. Cessant de demander sa subsistance à la charrue ou à la bêche, le paysan s’habitue à la paresse, cette mère de tous les vices, plus funeste encore sous un climat brûlant qui énerve l’âme et le corps, et ne laisse subsister que les passions violentes. Aussi Corfou est de toutes les îles celle où les crimes sont le plus multipliés.

Quelle est l’origine d’une aussi déplorable situation ? Elle tient à deux causes. La première est la mauvaise constitution de l’impôt. La terre ne payant aucune taxe, tandis que les produits sont chargés de droits tels que l’on est obligé de les livrer à un prix qui ne couvre pas les frais de culture, le paysan a intérêt à ne pas cultiver