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sance et à l’admiration de l’humanité. Nous ne sommes point de ceux qui ont la nostalgie du passé ; toutefois dans un temps où les questions de paix ou de guerre sont à la merci des incidens, c’est-à-dire du hasard, nous avouerons qu’il nous est impossible de songer sans un sentiment d’estime à cette génération d’hommes politiques qui dans la première moitié de ce siècle, et durant de longues années, avaient réussi à donner à l’Europe non-seulement la paix, mais la confiance dans la paix.

La question dano-allemande, à la considérer dans les faits déjà accomplis, est assurément très compromise. Les armées de l’Autriche et de la Prusse sont entrées dans le Slesvig ; la petite armée danoise n’a pas pu défendre le Dannewirke et sera inévitablement rejetée dans le Jutland. Avant peu, le Slesvig sera entièrement occupé par les Austro-Prussiens. Cette invasion du Slesvig, quelles que soient les intentions ultérieures de l’Autriche et de la Prusse, est à elle seule un fait très grave. Lors même que les motifs allégués contre le Danemark seraient fondés, la conduite des deux puissances allemandes n’en serait pas moins empreinte d’un caractère révoltant de brutalité. L’on demandait en effet au Danemark de rapporter la constitution de novembre dernier, sous le prétexte que, contrairement aux engagemens de 1851-52, cette constitution incorporait le Slesvig à la monarchie. Or cette constitution ne pouvait être révisée que par le rigsraad, lequel ne pouvait être réuni qu’après les élections. Le Danemark ne pouvait donner légalement la satisfaction qui lui était demandée qu’après un délai de quelques semaines. Que pouvaient perdre les prétendus droits de l’Allemagne durant ce délai ? N’est-il pas évident que le rigsraad danois eût pu céder plus honorablement à une pression morale qu’à une pression militaire ? En refusant le délai que l’on sollicitait d’elles et en s’emparant du Slesvig, la Prusse et l’Autriche ont-mis aux abois l’honneur du Danemark. En même temps, en recourant à l’agression militaire, en provoquant gratuitement l’effusion du sang, la Prusse et l’Autriche se sont créé à elles-mêmes, aux yeux de leurs peuples et de l’Allemagne, l’obligation d’imposer au Danemark des conditions plus dures encore que celles qu’elles prétendaient tirer des engagemens diplomatiques de 1851. Une fois l’occupation violente du Slesvig accomplie, on se demande quelle sera la conduite des deux puissances allemandes, et les questions qui se posent sont celles-ci. — L’Autriche et la Prusse resteront-elles dans les termes des engagemens de 1852 ? Respecteront-elles l’ordre de succession établi pour les duchés comme pour le Danemark proprement dit, en se contentant d’obtenir pour le Slesvig et le Holstein des administrations distinctes et séparées ? Iront-elles plus loin ? Pour essayer de donner une satisfaction partielle aux passions germaniques, tout en reconnaissant l’ordre de succession, exigeront-elles que le Slesvig entre dans la confédération, soit annexé à l’Allemagne ? Ou bien, épousant la politique allemande tout entière, répudieront-elles, le traité de 1862 ? Admettront-elles les prétentions du duc d’Augustenbourg sur les duchés, et sépareront-elles définitivement de la monarchie danoise