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la grotte, et pendant la nuit des sentinelles veillaient auprès de l’étroit soupirail. Dans les galeries, les lampes ne cessaient jamais de brûler ; on y célébrait l’office divin, on y dansait même ; un large carrefour, à la rencontre de plusieurs voies, servait de salle de bal. Des bandes de Turcs enlevèrent parfois quelques moutons, quelques promeneurs qui s’étaient trop écartés de la grotte ; mais on n’osa jamais en attaquer l’entrée.

Il court dans le pays, sur cet apocryphe labyrinthe, plusieurs histoires merveilleuses. En voici une que j’ai entendu raconter aux Turcs aussi bien qu’aux Grecs. À l’extrémité de l’une des galeries se trouverait, habilement dissimulée, une porte de marbre que l’œil indifférent ne peut apercevoir, et qui d’ailleurs ne s’ouvre qu’au son de certaines paroles magiques. Il y a une centaine d’années, des voyageurs européens, des Francs, comme on dit là-bas, prirent pour les conduire un paysan d’un village voisin. On entre donc dans la caverne, et on va jusqu’au fond ; arrivés là, les voyageurs s’arrêtent et déclarent à leur guide qu’il sera richement payé, mais qu’il lui faut jurer de ne rien révéler de ce qu’il va voir ; il n’a d’ailleurs rien à craindre, aucun danger ne le menace, pourvu qu’il soit obéissant et muet. Le malheureux, tremblant de tous ses membres, fait la promesse qu’on lui demande. Aussitôt l’un des Francs prononce je ne sais quelle mystérieuse formule et touche du doigt la paroi ; le roc s’ouvre, une grande porte roule silencieusement sur ses gonds, et l’on aperçoit une vaste salle. Les audacieux, entraînant avec eux le rustre à demi mort de peur, y pénètrent, et la flamme de leurs torches fait aussitôt étinceler l’or dans de nombreux coffres rangés tout autour de l’appartement. Au fond de la pièce, debout et immobile sur un piédestal de pierre, l’épée à la main, un nègre de bronze semble le gardien du trésor. Sans s’effrayer à cette vue, les Européens saisissent les caisses les moins lourdes, celles qui contenaient les monnaies les plus précieuses, et ils les portent hors du caveau. Quand ils en ont pris autant que pouvaient en porter leurs mulets, ils disent à leur guide, avant de sortir, de remplir ses poches de sequins. Le pauvre homme avait bien envie d’obéir, tant ce bel or jaune l’attirait et lui donnait le vertige. D’un autre côté, il avait une peur affreuse du nègre, qui semblait fixer sur lui ses prunelles ardentes et irritées. Éperdu, Il regardait d’un air suppliant la sombre tête, qui tout d’un coup, comme pour répondre à cette muette prière, s’ébranle et semble faire un signe de consentement et d’encouragement. Aussitôt toute hésitation cesse ; le paysan plonge ses bras dans un coffre, enlève l’or à poignées, en bourre ses habits, en remplit ses bottes ; puis, suivant les Européens, il se précipite hors de la pièce, et la porte se referme aussitôt. Les voyageurs partirent avec leur butin ; quant