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sortir. « N’attendez pas les décrets du sénat, » disait-il à l’un. — « Soyez votre sénat à vous-même, » écrivait-il à l’autre. Pour arriver à ses fins, tous les moyens lui semblaient bons, même les plus violens ; toutes les alliances lui plaisaient, même celle des gens qu’il n’estimait pas. Brutus au contraire, tout en se décidant à prendre les armes, était resté scrupuleux et timoré, et il continuait à ne pas aimer la violence. Quoique son nom soit surtout resté célèbre par un assassinat, le sang lui répugnait. Contrairement à ces lois inhumaines, acceptées de tout le monde, et qui livraient sans réserve le vaincu à la discrétion du vainqueur, il épargnait ses ennemis quand ils étaient en son pouvoir. Il venait d’en donner un exemple en laissant la vie au frère d’Antoine après l’avoir vaincu. Bien que ce fût un méchant homme, et que pour toute reconnaissance il eût tenté de corrompre les soldats qui le gardaient, il avait persisté à le traiter avec douceur. Il semble que ce ne soit pas un grand crime; cependant on en fut très irrité à Rome. Les menaces furieuses d’Antoine auxquelles on venait d’échapper avec tant de peine, le souvenir des frayeurs qu’on avait eues et des alternatives terribles qu’on traversait depuis six mois avaient exaspéré les plus calmes. Il n’y a rien de violent comme les colères des gens modérés quand on les pousse à bout. A tout prix, ils voulaient en finir, et le plus vite possible. Ils se rappelaient avec quelle répugnance et quelle lenteur Brutus avait commencé la guerre. En le voyant si facile, si clément, ils craignaient de le voir retomber dans ses hésitations et différer encore le moment de la vengeance et de la sécurité. Cicéron se chargea de faire connaître à Brutus leur mécontentement. Dans sa lettre, que nous avons encore, il énumérait avec beaucoup de vivacité les fautes qu’on avait commises depuis la mort de César ; il rappelait toutes ces faiblesses, toutes ces hésitations qui avaient découragé les gens résolus, et, ce qui devait surtout blesser Brutus, le ridicule qu’on avait eu de vouloir établir la paix publique par des harangues. « Ignorez-vous donc, lui disait-il, de quoi il s’agit en ce moment? Une troupe de scélérats et de misérables menace jusqu’aux temples des dieux, et ce qui est en question dans cette guerre, c’est notre vie ou notre mort. Qui épargnons-nous? que faisons-nous? Est-il sage de ménager des hommes qui, s’ils sont vainqueurs, effaceront jusqu’à la trace de notre existence? »

Ces reproches émurent Brutus, et c’est en récriminant qu’il y répondit. Lui aussi était mécontent du sénat et de Cicéron. Quelque admiration qu’il éprouvât pour l’éloquence des Philippiques, bien des choses devaient le blesser en les lisant. Le ton général de ces discours, ces amères personnalités, ces invectives ardentes ne pouvaient pas plaire à celui qui, en frappant César, avait voulu paraître sans passion, et plutôt l’ennemi d’un principe que d’un