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— ces aveux n’impliquaient chez fra Girolamo qu’une certaine passion pour la gloire et le désir d’y atteindre par les moyens les plus nobles, c’est-à-dire en perfectionnant les notions morales de l’humanité, en faisant passer dans la pratique de chaque jour ce qui reste trop souvent à l’état de dogme abstrait et de vaines paroles. »


Ceci est du reste l’interprétation presque littérale d’un passage des confessions de Savonarole textuellement cité dans le livre de George Eliot. « Tout ce que j’ai fait, disait-il, m’a été dicté par le désir d’être à jamais fameux dans le temps présent et les siècles à venir, afin de m’assurer la confiance des Florentins, et pour que rien ne se fit dans leur ville sans avoir été sanctionné par moi. Une fois ma position établie à Florence, j’avais en vue d’accomplir de grandes choses soit en Italie, soit au dehors, par le moyen de ces personnages éminens dont j’étais devenu l’ami, et que je consultais en toute matière importante, comme par exemple sur la réunion du concile universel. » Selon que mes premiers efforts eussent réussi, j’aurais donné carrière à mes projets ultérieurs. Je me proposais surtout, après la formation du concile, de pousser les princes de la chrétienté, plus particulièrement ceux des pays en dehors de l’Italie, à marcher contre les infidèles. Je ne me préoccupais pas beaucoup de devenir cardinal ou pape, car, ayant une fois mené à terme la grande entreprise par moi conçue, je me trouvais, pape ou non pape, le premier personnage du monde chrétien par l’autorité que j’eusse acquise et le respect dont on m’eût entouré. Choisi comme successeur des apôtres, je n’aurais pas refusé cet office ; mais être à la tête d’une pareille œuvre me paraissait plus important que d’être pape, attendu qu’un homme vicieux peut porter la tiare, tandis qu’une entreprise comme la mienne exige chez celui qui la mène des vertus de premier ordre. » Médité, commenté comme il doit l’être, ce fragment explique Savonarole tout entier. C’est en quelque sorte le testament de sa conscience dicté à des bourreaux stupides, qui transcrivirent sans y rien comprendre l’éloquente protestation de leur victime.

Ambitieux, Savonarole l’était ; mais il avait le droit de l’être, car ce droit est celui de tout homme qui veut le triomphe du bien, la destruction de l’iniquité. Trompeur, il le fut aussi dans une certaine mesure, et pour déterminer cette mesure il faudrait savoir ce que personne ne saura jamais, c’est-à-dire la situation mentale qui lui était faite par ses études théologiques, ses veilles d’ascète, et ses contemplations exaltées. George Eliot a voulu s’expliquer à elle-même et faire comprendre à ses lecteurs la torture morale infligée par surcroît à Savonarole et qui, malgré les révoltes légitimes de sa fierté, l’avait enfin de compte rabaissé à ses propres yeux :