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basse, mais distincte… Si différentes que soient nos pensées sur d’autres sujets, celui-ci, je l’espère, nous trouvera d’accord.

« — Bien évidemment, s’il s’agissait de quelque chose où le bonheur de votre père fût intéressé ; mais il n’en est pas question maintenant. Si nous avions foi au purgatoire, je ferais dire des messes avec autant de zèle que vous, et si je supposais qu’en modifiant légèrement l’objet auquel votre père avait destiné sa bibliothèque je dois lui causer une peine quelconque, vous me verriez de moitié dans tous vos scrupules ; mais la moindre philosophie nous apprend à secouer ces jougs chimériques que bien des mortels se passent au cou et dont le poids imaginaire les rend misérables… Vous avez trop d’intelligence, ma Romola, pour ne pas distinguer le bien solide et réel de ces pures fantaisies écloses dans le cerveau…

« Romola était encore trop complètement sous le coup de cette révélation qui lui faisait envisager Tito sous un nouvel aspect, pour que sa résistance prît un caractère déterminé. Tandis que le partage abondant, l’argumentation diserte de ce maître-orateur frappaient ses oreilles, un mépris croissant se développait en elle, et la torture qu’elle en éprouvait ne lui faisait que mieux apprécier la tendresse jadis si complète et si confiante, maintenant si froissée, si mêlée de désespoir, qu’elle lui avait vouée en l’épousant. Elle démêlait le néant de ce langage habile, de cette fausse ampleur de sentimens qui fermaient à jamais le cœur de cet homme aux émotions simples et naturelles. Les paroles qu’elle prononça furent celles d’une personne qui se croit obligée à dissimuler ce qu’elle éprouve. Elle s’était bornée à retirer son bras, appuyé sur les genoux de son mari, et les mains croisées devant elle, froide, inerte, elle demeurait assise.

« — Vous parlez, Tito, d’un bien réel et palpable… Qu’ai-je à faire, moi, de vos argumens ? continua-t-elle après un moment de silence. Je ne songe qu’à mon père, aux regrets qu’il m’a laissés, aux droits qu’il avait sur nous… A tout autre égard, Tito, vous me trouverez docile… Mais en ce qui est devoir je ne céderai pas…

« Sa voix, d’abord tremblante, s’était graduellement raffermie. Elle se rendait ce témoignage de n’avoir ainsi parlé que sous le coup d’une nécessité urgente, de n’avoir rien dit que ce qu’il fallait dire. Elle croyait, la pauvre femme, n’avoir rien de plus rude à subir, en fait d’épreuves, que cette lutte contre les insinuations de Tito, devenu pour ainsi dire l’organe des instincts inférieurs, des moins nobles pensées qu’il lui fût possible de retrouver en elle. Quant à lui, certain désormais de ne rien obtenir d’elle par les voies de la persuasion, il lui était démontré qu’il devait adopter une autre marche en lui prouvant l’inutilité d’une résistance tardive. Par là du moins, il mettrait un terme au débat engagé ; puis il n’anticipait que de quelques heures sur une découverte qu’elle ferait nécessairement dès le lendemain matin. Ce dernier calcul le forçait à être courageux ; d’ailleurs, l’ayant trouvée jusqu’alors plus docile qu’il n’avait osé s’y attendre, il espérait, enhardi par là, qu’elle se résignerait en fin de compte à ce qu’elle devrait regarder comme ayant été décidé par lui.

« — Je suis fâché de vous entendre parler ainsi, ma Romola, lui dit-il avec beaucoup de calme. Votre aveugle obstination va me mettre dans la