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ces soucis ; ils n’auront plus rien de commun avec l’Académie. Leurs envois une fois adressés au ministère des beaux-arts, ils attendront le récépissé de quelque employé, et se disperseront comme il leur plaira. Une pension plus forte, deux autres années leur seront accordées, et ils pourront, selon leur goût et leurs convenances, les consacrer à des voyages instructifs. Lequel d’entre eux résistera à une aussi douce tentation ? Qui oserait exiger tant d’héroïsme de jeunes gens de vingt ans ? La Grèce, Constantinople, Jérusalem, l’Espagne, l’Afrique, les appelleront : comment ne s’y précipiteraient-ils pas avec enthousiasme ? Mais que deviendra pendant ce temps l’art de peindre ? Est-ce dans une auberge qu’on trouve des ateliers ? Le sculpteur emportera-t-il avec lui les blocs de marbre qu’il faut sculpter ? Le graveur tirera-t-il tous les soirs de sa malle la planche de cuivre qu’il doit tailler ? Les plus sages se fixeront dans une autre capitale. Avouez qu’il est beau de quitter Rome pour aller vivre deux ans à Londres ou à Berlin ! Les plus légers courront le monde en noircissant quelques albums ; ils reviendront plus élégans, plus cultivés, pleins de souvenirs agréablement contés, riches de croquis spirituellement esquissés : ce seront des amateurs, des dilettanti, ce ne seront plus des artistes. Ils savaient peu quand ils ont quitté Paris, ils sauront encore moins quand ils y reviendront, car l’art est un tyran jaloux, et la pratique ne s’en acquiert que par un labeur assidu. Demandez à tous nos maîtres comment s’est passée leur jeunesse, de quelles luttes, de quels désespoirs secrets leurs ateliers ont été le théâtre.

Pendant ce temps, la villa Médicis sera à peu près déserte. Au lieu de vingt-cinq pensionnaires, neuf seulement l’habiteront, c’est-à-dire deux peintres, deux sculpteurs, deux architectes, deux musiciens et un graveur, les novices des deux premières années. Est-ce là une représentation digne de la France, digne de l’influence française ? Que diront les Romains, qui sont accoutumés à regarder l’Académie de France avec admiration ? Que ne diront pas les artistes étrangers qui affluent dans la ville éternelle, et qui, dans les expositions, triompheront sans peine, chose nouvelle pour eux, de nos trop faibles lauréats ? Et cette tradition que les anciens transmettaient à leurs successeurs, ces règles non écrites dont ils perpétuaient le souvenir, tout sera interrompu ! La moralité du travail commun, la dignité, le désintéressement, cette noblesse de cœur dont on se pénétrait à Rome par cinq ans de contemplation, de bons exemples, de conseils respectés, de fraternité généreuse, et qu’on rapportait à Paris pour le reste de sa vie, tout sera dissipé ! Ce faisceau d’œuvres diverses que les pensionnaires envoyaient régulièrement à la fin de septembre, que l’on exposait au palais des Beaux-Arts,