Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 48.djvu/933

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


II

De l’énumération qui précède ressort un chiffre éloquent qui répond mieux que tous les raisonnemens aux accusations dont l’école de Rome est l’objet. Sur deux cent vingt lauréats qu’elle a reçus pendant un demi-siècle, peintres, graveurs, musiciens, sculpteurs, architectes, elle a produit près de cent artistes distingués : non-seulement tous ont honoré l’école française et enrichi le pays de leurs œuvres, mais beaucoup sont devenus populaires ou même illustres. Pourquoi donc toucher à une institution dont la gloire augmente avec la durée ? pourquoi changer les lois qui la régissent avec tant de suite ? pourquoi détruire une harmonie d’études qui a été si féconde ? Comparons les règlemens que vous voulez abroger et les réformes que vous proposez : il est facile, sans un trop grand effort d’imagination, d’en prévoir les conséquences. D’abord vous demandez qu’on ôte à l’Académie des Beaux-Arts la direction et le jugement des concours. « Un jury de neuf membres sera tiré au sort chaque année sur une liste de noms arrêtés par le ministre. » Je laisse de côté les droits et les privilèges de l’Académie : elle peut les sacrifier quand l’intérêt général le lui commande, comme elle sait les défendre lorsqu’ils sont étroitement unis à nos traditions les plus chères et à l’avenir de l’art. De même j’admets que les noms arrêtés par le ministre ou ses commissaires seront choisis avec discernement, fût-ce parmi les feuilletonistes et les amateurs ; mais croyez-vous donc que ces noms auront pour la jeunesse le même prestige que le nom seul de l’Institut, qu’ils étaient accoutumés à voir présider à leurs luttes et à leurs triomphes ? Dès l’âge de quinze ans, ceux qui se vouaient à l’étude des arts supportaient avec joie un long noviciat, un travail sans récompense, la pauvreté souvent la plus cruelle, dans l’espoir d’entendre un jour leur nom retentir sous la coupole du palais Mazarin, de recevoir des mains des maîtres de l’art ce laurier qui leur donne l’Italie, la liberté, l’avenir ! Lorsque dans quelque salle écartée vous annoncerez le vote de neuf jurés que vous aurez tirés au sort, exactement comme l’on tire ceux qui jugent les criminels dans nos cours d’assises, pensez-vous faire battre les cœurs des artistes comme les fait battre cet antique Institut, qui contient les plus beaux noms de la France, qui s’appuie sur la confiance de la nation, et qui est pour les lauréats l’image de la patrie qui couronne ? Chimères, dites-vous ; mais c’est pour des chimères que s’enflamment les âmes généreuses et qu’elles volent au sacrifice. Le bâton de maréchal de France n’est qu’une chimère pour cent mille soldats qui ne l’obtiendront