Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 48.djvu/918

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Adieu à la tombe où repose mon père ! adieu à tous les plaisirs ! — J’avais autrefois un, foyer, j’erre maintenant en étranger sur le sol anglais. Oh ! donnez-moi une patrie, ou donnez-moi la tombe. — Oui, la liberté, c’est tout ce que je. demande ! »

Les Plaintes de l’émigrant irlandais, la Mère de l’émigré, l’Emigrant irlandais en Amérique, tels sont les titres qui nous frappent à chaque page dans un recueil de chansons irlandaises éminemment populaire[1]. et dont les termes mêmes rappellent la grande plaie sociale de ce malheureux pays. Parmi ces chansons, Gille Machree[2]The ballad poetry of Ireland, by Ch. Gavan Duffy. Dublin 1845, in-18. </ref>, est une des plus connues. C’est un amant qui va chercher au-delà des mers l’or à l’aide duquel il triomphe des résistances d’un père avare ou prévoyant. Dans une autre, l’émigrant dit en parlant de ces terres lointaines où la misère le pousse : « On assure que le soleil y brille toujours, qu’il y a là du pain et du travail pour tous ; mais ce pays, fût-il cent fois plus beau, ne me fera pas oublier la pauvre et vieille Irlande. » Enfin un autre de ces exilés volontaires, devenu par le travail heureux et libre au-delà de l’Océan, gémit en mourant à l’idée de reposer si loin de sa patrie : « Oh ! si les âmes peuvent quitter le lieu marqué pour leur dernier sommeil, je veux te revoir, terre chérie par-dessus toutes les autres, je veux que mon ombre plane légèrement sur tes vertes vallées, je veux vous visiter encore, bois de Kylinoë, où, enfant, j’errai tant de fois. » Persécution, misère, exil, telles sont les notes douloureuses qui reviennent sans cesse dans la chanson irlandaise, et dont la monotonie même accuse l’état social dont elle est l’expression.

« C’est une plume et non une pierre que vous jetez auvent, quand vous voulez savoir d’où il souffle. Ainsi la chanson, chose légère, vous en dit souvent plus sur la direction de l’esprit public que de lourds chroniqueurs ou de graves historiens. » Cette image ingénieuse, que nous empruntons à un humoriste anglais, fait bien sentir tout ce qu’une étude en apparence frivole peut apporter de lumières utiles à l’histoire des peuples et des littératures. Appliquée à l’Italie, puis à l’Angleterre, l’étude de la chanson nous a révélé chez l’une et chez l’autre des particularités caractéristiques rendues plus sensibles encore par le contraste. À la double influence de l’antiquité classique et du catholicisme, que nous présentait le premier pays, s’est substituée, dans le second, celle des mœurs germaniques et des croyances protestantes et puritaines. Nous y avons vu la chanson, au lieu de s’épanouir en plein soleil, se cantonner auprès du foyer, se dégager des brouillards d’un ciel sombre, se colorer du

  1. En irlandais, « celle qui illumine mon cœur. »
  2. En irlandais, « celle qui illumine mon cœur. »