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peine moins étrange de trouver ses louanges accouplées à celles de la reine Victoria dans une ballade, les Gais moissonneurs (the Jolly shearers), publiée en 1840, et si populaire, que l’éditeur nous assura qu’il ne pouvait suffire à l’impression. Nous tenons d’ailleurs de la plus sûre autorité, c’est-à-dire des marchands de chansons, que même les vieilles ballades les plus en faveur ne se vendraient pas, si l’on n’y cousait une stance en faveur de sa majesté. »

Nous avons laissé parler l’écrivain anglais parce que plus d’un enseignement ressort de ses paroles. « Les inconséquences que vous nous reprochez, pourrait dire l’Irlande, viennent de nos malheurs, qui sont votre ouvrage. Enfans de l’imagination, nous nous consolons par des chansons des maux que vous, peuple logique, vous nous avez infligés… » Il y a du moins chez l’Irlandais deux choses qui ne changent pas, qui le suivent partout dans sa fortune errante, et auxquelles dans le malheur, dans l’exil, dans la persécution, il demeure invinciblement attaché : c’est la foi religieuse et l’amour du sol natal. Nous avons entendu l’Exilé d’Érin, petit poème national, chanté par une voix irlandaise. Cette ballade touchante se termine ainsi :


« Mais oublions, pauvre exilé, ces douces images de la patrie absente. Je vais mourir : ô mon pays, reçois mon dernier vœu. Terre de mes pères, verte Érin, quand mon corps glacé reposera dans la tombe, quand mon cœur aura cessé de battre, que tes prairies soient toujours verdoyantes, que l’Océan n’ait pas d’île plus chérie que toi, et que tes bardes chantent à jamais le refrain national : Erin Mavourneen, Erin go Bragh[1]  ! »


Quand la chanteuse en vint à ce dernier couplet, ses yeux et sa voix se remplirent de larmes ; sa main glissa le long des cordes de sa harpe, et elle ne put achever la ballade qui lui rappelait trop vivement le pays natal.

Les ouvriers irlandais, en si grand nombre à Londres, ont un club où, pour six pence par tête, ils passent la soirée à boire et à chanter. Leur chanson favorite est une espèce de complainte intitulée l’Étranger irlandais :


« O Érin, triste Érin, avec quelle tristesse je récapitule les griefs de ton île si maltraitée ! Je pleure le sort de tes enfans réduits à errer au loin sur des rivages étrangers. Donnez-moi les moyens de traverser l’Océan, et l’Amérique pourra m’offrir un abri contre la misère ; mais, tandis que je reste encore sur ses bords, je puis donner un regret aux joies que je ne connaîtrai plus.

« Adieu donc, Érin, et ceux que je laisse pleurant sur ce rivage désolé !

  1. « Irlande ma chérie, Irlande pour toujours. »