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Des couples joyeux défilaient sous un dais de feuillage et formaient des rondes autour du chêne séculaire dont leurs refrains rappelaient le nom celtique (Derry, Derry down). Puis venait la solennité de Noël dans le vieux manoir féodal, où la tête de sanglier était servie en grande pompe au milieu des chants sacramentels, des grimaces du clown et des acclamations de tous les convives. Rappelons encore la Saint-Valentin avec ses déclarations poétiques et ses correspondances amoureuses, la veille des Rois, où, comme dans le Bessin normand, et presque dans les mêmes termes, les fermiers des comtés de Devon et de Cornouaille allaient processionnellement, des brandons à la main, conjurer les animaux nuisibles et appeler sur leurs vergers la bénédiction du ciel par des incantations rimées. Combien de délassemens utiles ou tout au moins de superstitions innocentes parmi toutes ces vieilles coutumes, que l’intolérance calviniste et puritaine a bannies des villes et des campagnes sous prétexte de papisme et de superstition ! Cependant M. Dixon a pu recueillir quelques-uns de ces poèmes et ballades, qui sont encore chantés en Angleterre par les paysans[1]. Telles sont la Chanson du Mai, celle des Faneurs, de la Moisson (Harvest-home), de la Meule (Barley-mow), accompagnées souvent de refrains intraduisibles et de particularités traditionnelles. Pour celle-ci par exemple, on boit à la santé de la meule dans une mesure de liquide dont la capacité augmente à chaque couplet ; puis, quand arrive le dernier, on recommence en sens inverse : on part de la coupe la plus large et on finit par la plus petite. La fête de la moisson est quelquefois accompagnée d’un chant dialogué entre le husband-man, propriétaire cultivateur, et le servingman, celui qui travaille pour un autre ; la morale est celle de la fable de La Fontaine, le Chien et le Loup. Cet orgueil de yeoman et de freeholder, de cette classe qui constitue la force vive de l’Angleterre, est bien rendu dans la chanson du Yeoman de Suffolk.


« Voisins, puisque je suis requis de chanter, je vais vous dire la reine des chansons, car elle est en l’honneur d’une race qui ne le cède à aucune autre. Lorsque l’ordre commença sur la terre, chaque laboureur était roi ; il honorait la meule et la charrue ; sa ferme était sa cour, et tous se serraient avec respect autour de son foyer protecteur : tel est le fermier de Suffolk. »


Chaque province a ses types favoris dont les qualités ou les défauts forment le sujet de maint refrain populaire ; tel est le marchand de chevaux du Yorkshire, qui est proche parent de notre maquignon de Basse-Normandie. Parmi les défauts, dont nous venons de

  1. Ancient poems, ballads and songs of the Peasantry of England. London 1846, in-8o.