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sein agité, comme un oiseau qui revole au nid de sa mère. Aussi fut-elle une vraie mère pour moi. J’y suis né, j’y veux mourir ! »


Il serait superflu de citer tous les passages des chansons anglaises qui renferment des allusions à la vie et aux mœurs des marins. Notons seulement que des idées d’amour viennent s’y mêler pour en tempérer la rudesse. Dans la romance intitulée Susanne aux yeux noirs, le navire, à l’ancre dans les dunes, va partir, lorsqu’une jeune fille s’élance à bord, demandant son cher William. Ce sont alors de pénibles adieux, des protestations de tendresse.


« Chère Susanne, ne crois pas ce que disent les hommes de terre, que les marins ont une maîtresse dans chaque port ! Ou plutôt, oui, crois-en leurs paroles, car tu m’es présente en tous lieux.

« Si nous touchons aux rivages de l’Inde, je verrai tes yeux dans les diamans étincelans ; les brises parfumées de l’Afrique me rappelleront ta douce haleine, et l’ivoire la blancheur de ta peau. Ainsi chaque beauté qui frappera mes regards réveillera en moi le souvenir d’un de tes charmes.

« Mais le contre-maître a donné le funeste signal : les voiles s’enflent au vent ; Susanne ne peut rester plus longtemps à bord. Ils s’embrassent, ils soupirent. Le bateau qui l’entraîne semble regagner à regret le rivage. « Adieu ! adieu ! » s’écrie-t-elle, et longtemps encore sa blanche main s’agite dans les airs !… »


Voilà, dira-t-on, un marin bien galant et même un peu prétentieux. Il n’en est pas moins vrai que cette romance du poète John Gay est devenue populaire à bord, et l’on ne manque pas de la chanter sur les théâtres à l’époque de l’enrôlement des matelots.

Au quart de minuit, à l’approche d’une bataille, un marin solitaire se promène à pas comptes sur le pont.


« Si tu as laissé à terre quelque jolie fille, quelque maîtresse fidèle, qui ait passé bien des nuits à écouter le vent, quand la bataille commencera, ne pense qu’à bien servir ton canon, ou si quelque pensée d’amour traverse ton esprit, que ce soit pour t’animer à bien faire en songeant qu’à la nouvelle de la victoire elle s’écriera avec orgueil : « Mon brave Jack en était !… »


Des poètes distingués, Sheridan, Gay, Glover, Cowper, Thomas Campbell, Barry Cornwall, n’ont pas dédaigné de traiter ce genre éminemment national ; mais le chansonnier maritime anglais par excellence est Charles Dibdin, né en 1745, mort en 1814, auteur de plusieurs des morceaux que nous venons de citer. Bien qu’il ne possède ni l’inspiration élevée du poète lyrique, ni les grâces plus légères qui charment les salons, il conquit la popularité du bord et du gaillard d’arrière par suite d’un concours de circonstances qui avaient fait de la marine, à l’époque où il parut, le dernier rempart de l’indépendance anglaise. Cette popularité, il la