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après des siècles d’absence, reviennent au même point de l’horizon. Ne seraient-ce pas des âmes inquiètes, cherchant dans l’espace infini l’objet d’un éternel amour ? L’amour qui n’a point d’âge, et qui est toujours naissant, comme l’a dit un penseur chrétien, est la loi suprême de la création. Il est partout, dans la science, dans l’art, dans la nature, et le royaume de l’amour, c’est vraiment le royaume de Dieu, où il nous élève de son souffle divin. « Trois voies différentes nous conduisent au monde supérieur, a dit un ancien : la musique, l’amour et la philosophie : la musique, qui a pour objet l’harmonie ; l’amour, qui recherche la beauté, et la philosophie, qui poursuit la vérité. » Aimons l’art, ma chère Frédérique, aimons les belles choses qui épurent les sentimens ; livrons-nous au culte des grands maîtres, au culte de Beethoven, de Weber, et du plus divin de tous, Mozart, le musicien de l’idéal et des cœurs délicats. Enivrons-nous de ces saintes chimères qu’on nomme poésie, car nous y trouverons l’essence de toute vérité durable, et comme un pressentiment du bien suprême auquel nous aspirons. Ce sera mon excuse auprès de vous, mon titre à votre indulgence, à votre tendre pitié.

En achevant ces mots, le chevalier se leva brusquement du banc de pierre où Frédérique était restée assise. Après un instant d’hésitation et de recueillement, la jeune fille se leva aussi précipitamment, et dit d’un ton ferme et résolu : Je jure devant Dieu, qui voit mon cœur, que, quoi qu’il arrive, je resterai fidèle toute ma vie au sentiment que vous m’avez inspiré ce soir.

— Mais où sont-ils donc ? s’écria de sa grosse voix le docteur Thibaut… Ah ! les voilât dit-il en apercevant le chevalier et Frédérique, qui regardaient les ondulations du lac. On vous croyait perdu dans la contemplation de la lune, mon cher chevalier.

— Et l’on ne se trompait guère, répondit le chevalier en rejoignant le groupe des promeneurs.


PAUL SCUDO.