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ne sont que des imitations plus ou moins heureuses de l’opéra buffa italien et de l’opéra-comique français, qui lui-même est né du mariage du vaudeville gaulois avec l’ariette de Vinci et de Pergolèse. Keyser, Tillemann, Hasse, Haendel, ont essayé aussi, au commencement du XVIIIe siècle, de créer un théâtre lyrique en composant des opéras dans la langue de Klopstock ; mais, quel que soit le mérite respectif de ces musiciens si diversement célèbres, leur tentative est restée sans résultat, et il n’existe pas d’opéra véritablement allemand avant les deux chefs-d’œuvre de Mozart : l’Enlèvement au Sérail et la Flûte enchantée… Je sais bien que M. le chevalier Sarti ne partage pas mon avis, ajouta M. Thibaut en souriant ; mais tant qu’il ne m’aura pas donné l’explication qu’il m’a promise sur l’origine du pittoresque et de la musique romantique, j’ose persister dans mon erreur.

Le chevalier, qui était au fond du théâtre à causer avec les trois cousines, n’entendit pas la malicieuse provocation du docteur Thibaut ; mais M. Rauch, qui avait une antipathie déclarée pour tout ce qui était ultramontain, qui ne pouvait se rendre à l’idée qu’on attribuât à l’Italie et à la France une si grande influence sur les arts et le goût de son pays, répliqua avec aigreur : — J’espère, monsieur le docteur, que vous ne prétendez pas soutenir que le grand Sébastien Bach et Haendel sont aussi des disciples ou des imitateurs de l’école italienne.

— Bach, non, répondit M. Thibaut d’un ton placide. Celui-là est un génie tout allemand, dont les racines plongent dans la terre natale comme un grand chêne séculaire ; mais Haendel doit beaucoup aux conseils des Italiens, et ses premières œuvres, particulièrement ses opéras, ont été écrits sous l’influence directe de l’école italienne, la seule qui existât alors en Europe. Hasse, Gluck, Graun, Haydn et Mozart n’ont-ils pas reçu de la patrie de Scarlatti, de Porpora, de Marcello, de Jomelli et de Piccini la lumière qui les a guidés dans leur glorieuse carrière ? Ne soyons pas ingrats, monsieur Rauch, et qu’un faux patriotisme ne nous fasse pas méconnaître que l’Italie et la France ont été tour à tour les deux grandes institutrices de l’Allemagne… Voulez-vous un exemple frappant de cette double influence de l’Italie et de la France sur les arts, le goût et la sociabilité de notre pays ? ajouta M. Thibaut, qui voyait sur la physionomie du vieux maître de chapelle l’expression du doute et de l’étonnement. Regardez ce beau jardin de Schwetzingen, créé au milieu du XVIIIe siècle par un prince généreux, qui avait à cœur la gloire de l’Allemagne, dont il s’efforça d’émanciper le génie : c’est une imitation du parc de Versailles et de la magnificence de Louis XIV réalisée à grands frais par des artistes italiens, tels que