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d’une forme si parfaite. La tendresse, l’exquise sensibilité et la douce mélancolie de Mozart se retrouvent dans ses moindres compositions, dans sa musique instrumentale, dans ses opéras aussi bien que dans ce morceau incomparable et vraiment divin : Ave verum, Le génie grandiose et pathétique de Beethoven, les douleurs et le trouble de son âme éclatent dans ses symphonies, dans ses concertos, dans ses admirables sonates pour piano, véritables poèmes qui renferment dans un cadre resserré de vastes horizons où se joue une fantaisie puissante et toujours nouvelle. L’imagination, la fougue, l’accent populaire et la tournure chevaleresque de l’esprit cultivé de Weber n’apparaissent-ils pas dans sa musique de piano, dans ses belles chansons patriotiques comme dans ses trois grands chefs-d’œuvre, le Freyschütz, Euryanthe et Oberon, développement laborieux d’une seule et même idée : le pittoresque dans la passion, le paysage dans le drame lyrique ?

Ces causeries sans apprêt, où le chevalier épanchait sa verve éloquente, ses observations fines et profondes sur l’art, qu’il envisageait avec une largeur inconnue à ce pauvre M. Rauch, pour qui la musique n’était qu’une savante combinaison de sons, émerveillaient Frédérique, qui n’avait jamais rien entendu de semblable. Son amour-propre était singulièrement flatté que le chevalier la jugeât digne de pareils entretiens, et son cœur éprouvait une vive reconnaissance pour la peine qu’on se donnait d’éclairer son esprit et d’élever son âme à ces hautes et nobles spéculations.

Cependant le goût, les conseils du chevalier et le désir de mériter son approbation avaient excité Frédérique à connaître et à étudier, plus qu’elle n’y était portée par son instinct rêveur et mélancolique, les maîtres de l’école italienne. À l’aide de la riche bibliothèque du docteur Thibaut, le chevalier put lui faire chanter des cantates de Scarlatti et de Porpora, des duos de Durante, de beaux airs de Léo, de Pergolèse, de Jomelli et surtout de Paisiello, dont la musique suave et touchante convenait à sa voix modérée, ainsi qu’à la nature des sentimens qu’elle aimait à exprimer. La romance de la Nina, un de ces chefs-d’œuvre d’inspiration qui sortent directement de l’âme qui les a conçus, sans qu’on puisse ni les imiter ni les reproduire par les artifices de l’art, fut un des morceaux que Frédérique s’appropria avec le plus de bonheur. Lorsque le chevalier interpréta devant elle pour la première fois cette mélodie pleine de langueur et de charme : Il mio ben quando verrà (quand mon bien-aimé viendra), qu’il avait entendu chanter dans sa jeunesse par la célèbre Angelica Costellini, qui traversait Venise, Frédérique parut comme surprise de la sensation nouvelle qu’elle éprouvait. Les yeux fixés sur le chevalier, elle écoutait avec une