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et de tendre sollicitude qu’elle éprouvait pour le chevalier. Avec un zèle tout aimable, elle s’efforça de partager ses goûts, de lire, de comprendre les poètes qui avaient sa préférence, de s’élever dans son estime et dans son affection. Elle voulut connaître Dante, beaucoup trop difficile pour les faibles études qu’elle avait faites dans la langue italienne, mais dont le chevalier lui expliqua les plus beaux passages avec une émotion personnelle qui doublait la puissance de la poésie sur le cœur de la jeune fille. L’épisode fameux de Françoise de Rimini produisit surtout une grande impression sur Frédérique, dont l’imagination suivait le chevalier dans le ténébreux séjour, comme Dante suit Virgile, il poeta sovrano. Les poètes allemands, particulièrement Goethe, devinrent aussi le sujet fréquent des entretiens du chevalier avec Frédérique, qui s’éprit d’une vive admiration pour ce beau génie si profondément germanique. Elle lut avec avidité ses lieder, ses ballades, ses poèmes divers d’une si rare perfection de forme, où Goethe a renfermé comme dans un flacon de cristal l’essence de son âme, les rayons d’or de sa fantaisie, les heures sacrées de sa belle et longue existence, dont l’amour n’a cessé d’être l’objet. Ce thème, qui revenait souvent dans la conversation du chevalier, comme le mot sacramentel de sa propre destinée, était la base sur laquelle il avait édifié, ainsi qu’on a pu le voir, toute une philosophie de l’art et de la vie. Aussi la jeune fille l’écoutait-elle avec un charme qui croissait chaque jour, et qu’elle n’avait jamais trouvé dans les leçons de ses maîtres. Lorsque la comtesse voyait le chevalier s’entretenir avec Frédérique soit dans le petit salon d’été, soit dans une allée du jardin : — Ah çà, chevalier, n’abuse-t-on pas un peu de votre complaisance ? disait-elle parfois en embrassant sa nièce sur le front. Cette enfant est bienheureuse de l’intérêt que lui témoigne un homme tel que vous.

Devenue fort habile sur le piano sans que son exécution eût pourtant beaucoup d’éclat, Frédérique cherchait l’occasion de jouer devant le chevalier les belles sonates de Beethoven, celles de Weber, de Mozart et d’Haydn, dont il lui expliquait la différence de style, laquelle tenait non-seulement à la différence du génie, mais aussi à celle des temps où ces maîtres avaient vécu et s’étaient développés. En racontant leur histoire, qu’il avait toujours soin de rattacher au milieu social où ils s’étaient produits, le chevalier ne manquait pas d’insister sur les événemens qui, selon lui, avaient dû influer sur la destinée de l’homme, le caractère du talent et la nature de l’inspiration.

— La vie calme, l’âme pieuse et sereine d’Haydn, disait-il, se réfléchissent dans son œuvre immense, d’une clarté si constante et