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Guérin n’aurait-il pas pu dire aussi, sans excès de rigueur envers Mignard, que le coloris n’est pas de nature à racheter ici les faiblesses ou les lourdeurs du style ? Cet Olympe chrétien peuplé de bienheureux, d’archanges et de séraphins, cette Gloire qui devait, — le mot l’indique, — apparaître comme un foyer de lumière et de tons radieux, n’offre qu’un assemblage de couleurs blanchâtres et froides, dégradées, dans les figures aussi bien que dans les nuages, depuis la teinte bise jusqu’au blanc laiteux. Le tout ne manque pas d’une certaine harmonie, puisque, la gamme une fois donnée, ces nuances se déduisent les unes des autres sans soubresaut ou se marient entre elles sans dissonance ; mais cette harmonie même a quelque chose d’inerte : elle résulte d’une succession d’accords négatifs, de formules monotones, et ce n’est pas à ces apparences plus ou moins crayeuses, à cette terne atmosphère que le regard devra s’adresser pour pressentir la lumière céleste et s’enivrer, comme dit Dante, des « visions dorées » du paradis.

À n’envisager d’ailleurs dans les peintures du Val-de-Grâce que le procédé matériel et les principes de la mise en scène, on conçoit que la nouveauté du spectacle ait pu donner le change aux contemporains sur la valeur réelle et le caractère des inspirations. Les travaux de décoration monumentale avaient été jusqu’alors exécutés en France au moyen de la peinture à la détrempe ou de la peinture à l’huile, ou, si quelques-uns des artistes étrangers appelés par François Ier s’étaient servis de la fresque proprement dite, aucun d’eux n’avait fondé à cet égard une tradition durable, des enseignemens dont on songeât à profiter. Pendant le long séjour qu’il avait fait en Italie, Mignard au contraire s’était laissé gagner à la doctrine des frescanti, et, par une familiarité quotidienne avec les grands modèles, il s’était initié assez sûrement aux secrets de la pratique pour avoir bonne envie de les divulguer à son tour. « Devenu tout romain, » comme dit Molière, il rapportait dans son pays des ambitions généreuses, le goût des hautes entreprises, et probablement aussi, quant aux moyens de les accomplir, un vif désir de faire pièce à ses confrères, à Lebrun en particulier, avec qui il était depuis longtemps en hostilité ouverte. Or Lebrun avait échoué dans quelques essais de peinture à fresque, et il s’était empressé, en homme habile, de renoncer sur ce point à des prétentions qui n’allaient pas à moins qu’à compromettre sa réputation et son crédit. Aussi, sous prétexte de dédain pour un procédé suranné, avait-il invariablement employé la peinture à l’huile dans l’exécution de ses innombrables travaux à Paris et à Versailles. Quel triomphe pour Mignard s’il réussissait, par ses propres exemples, à avoir raison des préférences intéressées de son rival, à en dénoncer la vraie cause, à restaurer la tradition des maîtres là où Lebrun n’avait su