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HERMAN

Mais vous ne lui avez donc pas dit depuis combien de temps j’avais rompu avec Pompéa, que nous avions cessé toute correspondance, que nous ne savions même plus si nous existions l’un et l’autre, qu’après Isabelle c’est vous qui m’avez décidé à revenir en France, et que c’est encore vous, vous seul, à mon insu, qui avez eu l’idée de présenter Pompéa à ma femme?

NOIRMONT

J’ai dit tout ce qu’il fallait dire, et pour mieux expliquer comment entre Pompéa et toi il n’y avait plus qu’une sincère amitié, j’ai raconté ta jeunesse, ta vie de dissipation et de désordre.

HERMAN

A quoi bon? Cela n’était pas nécessaire.

NOIRMONT

Je lui devais la vérité; mais ici la franchise était de l’habileté. As-tu donc oublié, cervelle légère, que la plus honnête femme préférera toujours l’homme qu’elle relève par son amour à celui qui n’a jamais failli? Isabelle m’écoutait, indulgente, attentive, avide de pardonner, et l’adorable femme, dans sa généreuse nature, avait fait venir sur l’heure Pompéa afin de lui demander l’oubli de ses soupçons.

HERMAN

Vous avez donc réussi?

NOIRMONT

Eh ! cent fois non ! te dis-je. Alors est survenue la catastrophe qui a mis à néant toutes nos espérances. Dorothée est entrée, furieuse, demandant justice des trahisons de son libertin de mari, et tendant une lettre à sa maîtresse. Dès les premiers mots, il devint évident que Dorothée, aveuglée par sa jalouse rage, accusait à faux l’innocent Dubois; la lettre était pour toi et signée de Lisette : elle s’accusait de n’avoir pu aller au rendez-vous que tu lui avais donné; les termes étaient clairs, précis, et ne laissaient pas matière à controverse... D’ailleurs, te l’avouerai-je ? cette découverte a comblé la mesure, et l’indignation m’a coupé la parole.

HERMAN

Quoi ! Lisette !... oh! l’enfer est déchaîné contre moi! Et ma pauvre Isabelle est retombée sans doute? Allez, ne me cachez rien.

NOIRMONT

Non; son visage, ferme et dédaigneux, n’a laissé voir qu’un immense mépris. Mon vieil ami, m’a-t-elle dit, on nous trompait tous les deux. Je veux me séparer, et je compte sur vous pour m’aider à prendre les mesures nécessaires... J’ai accepté.

HERMAN, froidement.

C’est bien!... Et vous n’avez rien de plus à me dire?

NOIRMONT

Rien. (Il observe un instant Herman et sort. )


SCÈNE III.
HERMAN, seul. (Quand Noirmont est sorti, il ferme derrière lui la porte au verrou et va regarder derrière le paravent. )

Partie!... Elle a tout entendu!... Qu’importe?... Au moment où je venais