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beaux ouvrages qu’il publie alors et qui se succèdent coup sur coup, son ami tient toujours une grande place. On voit que son cœur est plein de lui, il en parle le plus qu’il peut, il ne se lasse pas de le louer, il veut avant tout lui plaire; on dirait qu’il ne se soucie plus que des éloges et de l’amitié de Brutus.

C’est surtout l’étude de la philosophie qui les réunit. Tous deux l’aimaient et la cultivaient depuis leur jeunesse, tous deux semblèrent l’aimer davantage et la cultiver avec plus d’ardeur quand le gouvernement d’un seul les eut éloignés des affaires publiques; Cicéron, qui ne pouvait se faire au repos, tourna toute son activité vers elle. « La Grèce vieillit, disait-il à ses amis et à ses élèves, allons lui arracher sa gloire philosophique, » et il se mit le premier à l’œuvre, il tâtonna d’abord quelque temps et ne trouva pas du premier coup la philosophie qui convenait à ses compatriotes. Un moment il fut tenté de les diriger vers ces questions de métaphysique subtile qui répugnaient au bon sens pratique des Romains. Il traduisit le Timée, c’est-à-dire ce qu’il y a de plus obscur dans la philosophie de Platon; mais il s’aperçut vite qu’il se trompait, et il s’empressa de quitter cette route où il aurait marché tout seul. Dans les Tusculanes, il revint aux questions de morale appliquée et n’en sortit plus. Les caractères divers des passions, la nature propre de la vertu, la hiérarchie des devoirs, tous les problèmes qu’un honnête homme se pose pendant sa vie, surtout celui devant lequel il recule souvent, mais qui revient toujours avec une obstination terrible, et trouble à certains momens les âmes même les plus matérielles et les plus terrestres, l’avenir après la mort, voilà ce qu’il étudie sans tour de force de dialectique, sans préjugé d’école, sans parti-pris de système, et avec moins de souci d’inventer des idées nouvelles que de prendre un peu partout des principes pratiques et sensés. Tel est le caractère de la philosophie romaine, dont il faut bien se garder de médire, car son rôle a été grand dans le monde, et c’est par elle que la sagesse des Grecs, rendue plus solide à la fois et plus transparente, est arrivée jusqu’aux peuples de l’Occident. Cette philosophie date de Pharsale, comme l’empire, et elle doit beaucoup à la victoire de César, qui, en supprimant la vie politique, força les esprits curieux à chercher d’autres alimens à leur activité. Accueillie d’abord avec enthousiasme par toutes les âmes souffrantes et désœuvrées, elle devint de plus en plus populaire à mesure que l’autorité des empereurs se faisait plus lourde. À cette domination absolue que le pouvoir exerçait sur les actions extérieures, on était heureux d’opposer la pleine possession de soi que donne la philosophie; s’étudier, s’enfermer en soi-même, c’était échapper par un côté à la tyrannie du maître, et, en cherchant à se bien connaître, on semblait agrandir le terrain où sa puissance n’avait pas d’accès.